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contre le mur ce gros buveur de bière que voilà. » M. Lemud a été bien mieux inspiré autrefois pour la charmante composition de Maître Wolfram.

Beethoven chez Mozart, gravure de M. Allais, n’est pas non plus une combinaison bien heureuse. D’abord pourquoi cette scène théâtrale? pourquoi tout ce beau monde du XVIIIe siècle se trouve-t-il réuni dans le pauvre logis de l’auteur de Don Juan ? Le fait qui a inspiré cette scène de bal masqué est des plus simples. Le jeune Beethoven arrivant à Vienne pour la première fois se présente chez Mozart avec une lettre de recommandation. Mozart, qui n’avait auprès de lui qu’un ami et sa femme, reçut le jeune homme avec bonté et lui dit après avoir lu la lettre : « Eh bien ! voyons ce que tu sais faire. Joue-moi quelque chose, improvise sur quel thème tu voudras. » L’enfant obéit et se rendit dans une chambre voisine où il y avait le piano de Mozart. Étonné de ce qu’il entendait, Mozart se leva de sa chaise avec précaution, et après s’être assuré par un coup d’œil furtif que Beethoven improvisait : « Écoutez bien ce jeune homme, dit Mozart à voix basse, il fera parler de lui. »

Cette piquante anecdote aurait pu inspirer une scène d’intérieur fort agréable, si M. Allais n’avait pas cru devoir transformer la modeste demeure de Mozart en un salon rempli de grands seigneurs et de belles dames.

Que dire aussi d’un portrait de Beethoven jeune? Que s’il est ressemblant, il n’est pas vraisemblable, et qu’il valait mieux ne pas exposer cette grotesque image du grand symphoniste. Et M. Pinelli, où a-t-il pris ce Palestrina qu’il représente assis à l’orgue entouré de femmes qui sont ses élèves? Passe encore pour la figure lourde et empâtée que la peinture a donnée au créateur de la musique religieuse; mais qui lui a dit que Palestrina touchait de l’orgue d’abord, et qu’il donnait des leçons à des femmes, lui qui était presque un homme d’église? Non-seulement la scène imaginée par M. Pinelli n’est pas vraisemblable, mais on n’y trouve ni poésie ni talent. Je préfère le tableau du même peintre, qui représente un épisode de la vie de Marie Stuart où se trouve un joueur de pibroch qui fait des miracles. Il y a beaucoup de musiciens aussi dans un tableau représentant les Noces du roi de Navarre, dans une Danse de Bayadères et dans une peinture animée du Carnaval de Venise de Mme Lallemand. Du reste, les œuvres de femmes étaient assez nombreuses à l’exposition de cette année, et Ton assure qu’un buste en marbre de Bianca Capello serait l’œuvre délicate d’une femme du monde qui porte un nom illustre dans l’histoire de l’aristocratie romaine. Il y avait aussi à l’exposition quelques portraits de compositeurs qui ne méritent pas même une mention honorable.

Il résulte, ce semble, de l’excursion que je viens de faire au Palais de l’Industrie, que la musique et les musiciens ont été assez mal représentés à la dernière exposition, et que, parmi tant d’œuvres médiocres qui remplissaient ce triste édifice, il n’y avait pas un tableau, pas une gravure où l’art que nous aimons fût dignement interprété. Le Beethoven endormi, de M. Lemud est une caricature. Le gros Palestrina de M. Pinelli ferait pleurer