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basse, et le vieux Bassan, qui l’accompagne de la flûte. Le concert est presque complet, et il n’y manque vraiment qu’une femme chantant une canzone de Monteverde ou de tout autre compositeur vénitien du temps. Ce personnage de plus n’aurait pas dérangé l’harmonie ni la vérité de ce magnifique épisode de l’Evangile. Il n’y a de comparable à cette splendide page de peinture religieuse que le Stabat de Rossini. Les tableaux qui représentent de petites scènes où. la musique et les instrumens se trouvent mêles sont assez nombreux au Louvre. Je citerai d’abord le Couronnement de la Vierge de l’aimable fra Angelico, où douze anges, aux ailes de pourpre, tenant des trompettes et d’autres instrumens, célèbrent cette glorification solennelle de la mère de Jésus. Il y a aussi deux tableaux d’un peintre de Ferrare nommé Lorenzo Costa, dont l’un représente la marquise Isabelle d’Este couronnée par l’Amour et entourée de musiciens qui célèbrent sans doute l’éclat de sa beauté; l’autre est une composition allégorique où l’on voit Apollon enseignant la musique à des nymphes, et plus loin Orphée qui civilise les hommes par les accords de sa lyre. A la bonne heure! et la musique n’a pas cessé de jouer le rôle que lui prête la légende grecque. Les Allemands, les Hollandais, les Flamands, ont représenté dans leurs tableaux des scènes populaires où figurent souvent des ménétriers, des violoneux de village et des chanteurs d’une condition plus élevée. Il est donc suffisamment prouvé que la musique avec ses symboles n’a cessé d’occuper les poètes, les peintres, les sculpteurs de tous les temps, et que son histoire est inscrite sur les plus anciens monumens de la civilisation.

Si j’avais eu à choisir, parmi les tableaux et les gravures qui ont été exposés cette année au Palais de l’Industrie, les œuvres qui rendaient le mieux l’idée de la poésie musicale, j’aurais peut-être mis la main sur la Sainte Cécile de Mignard, gravée par M. Jourdain, ou sur le paysage symbolique de M. Français, traduisant ces vers bi(Il connus de Virgile :

Te, dulcis coujux
Te, veniente die, te decedente, canebat.


Mais que dire de la composition de M. Lemud? que penser de ce gros garçon de ferme endormi sur un piano en rêvant on ne sait trop à quoi? Est-ce là Beethoven? est-ce là l’auteur de la symphonie héroïque, de la symphonie pastorale, et de cent chefs-d’œuvre dont M. Lemud ne doit pas connaître grand’chose? D’où viennent ces ombres longues, maigres, au type allongé et vulgaire qui se groupent au fond du tableau et regardent ce gros garçon qui dort comme un sourd? Sont-ce les rêves de cet immense génie, ces figures anguleuses qui rappellent les femmes d’Albert Dürer? Il n’y a dans cette scène étrange ni vérité, ni poésie, et l’effet que produit à l’œil la composition de M. Lemud est vraiment désagréable. Une femme du monde qui connaît la musique de Beethoven par cœur, comme on dit, fut priée de jouer sur le piano une des admirables sonates du grand maître. « Je le veux bien, répondit-elle, mais à la condition que vous retournerez