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son charuto (cigare), et la plume derrière l’oreille, est arrivé un jour des Açores ayant pour tout bien la chemise, la veste et le pantalon qui parvenaient à grand’peine à dissimuler sa nudité. Sa famille, ne pouvant le nourrir, l’avait confié à un navire faisant voile pour Rio-Janeiro. Le patron du magasin est allé le chercher au port, et, après avoir payé le prix du passage, l’a emmené comme apprenti. Le voilà aujourd’hui l’homme de confiance du senhor'. Modèle de sobriété et de ténacité portugaise, il s’est refusé toutes les distractions, tous les plaisirs de son âge ; on peut dire que sa vie n’est qu’une suite non interrompue de travaux et de privations ; mais il se console par la perspective que lui offre l’avenir. Il sait que, si la febre amarella (fièvre jaune) ou la consomption ne l’arrête en chemin, il sera un jour fazendeiro et peut-être commendador.

Pendant que vous êtes en pourparlers près du comptoir, vous voyez un cavalier s’arrêter à la porte. Après avoir mis pied à terre, il confie la bride de son cheval à un noir qui l’accompagne, s’avance sur le seuil, et appelle d’un pshiou ou d’un battement de mains un commis de la maison. Vous le prenez pour un client qui vient faire quelque commande. Le patron, qui l’a reconnu, tire quelques vintens de sa poche et. les donne à un de ses employés, qui, sachant ce que cela veut dire, les porte aussitôt au senhor cavalier. Ce client n’est qu’un mendiant, du moins c’est ainsi qu’on l’appellerait chez nous ; mais chaque peuple a ses idées sur la mendicité. Peut-on en effet voir un vagabond dans un homme vêtu d’une manière irréprochable, et ayant un nègre et un cheval à sa disposition. D’ailleurs l’aumône ne déshonore pas dans ce pays, où la terre se montre si prodigue et où l’hospitalité devient si aisée. Aussi la mendicité est-elle considérée par les gens qui s’y livrent comme une véritable profession. Chaque mendiant a sa clientèle, et il sait jusqu’où il faut aller sans se rendre importun. Ses visites sont généralement hebdomadaires : chez les bonnes âmes ou chez les riches pratiques, il risque jusqu’à deux visites par semaine, mais jamais plus. Quand on le rencontre après sa tournée, on voit un gentleman plein de savoir-vivre et habile à se procurer les douceurs du comfort. S’il est modéré dans ses dépenses, il achète des esclaves avec ses revenus, les envoie au ganho (gain), et, devenu enfin rentier, traite à son tour ceux qui l’ont aidé à vivre ; mais c’est là le petit nombre. Cette profession est surtout exercée par de soi-disant étudians à qui il ne manque que quelques milreis pour entrer dans les ordres. On cite à ce sujet les anecdotes les plus singulières, et l’un d’eux, le senhor Maranheuse, a élevé ce métier à la hauteur d’une véritable science.

Êtes-vous artiste, ou désirez-vous faire quelque excursion scientifique, vous devez avant tout organiser une caravane. Vous priez vos