Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/739

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’éboulement. Ce qui rend ceci encore plus merveilleux, c’est qu’il n’y a pas chez ces écitons, comme chez les autres espèces de fourmis, des ordres de travailleurs parfaitement distincts et une appropriation spéciale de chaque classe d’individus à telle ou telle besogne, Les mineurs, les terrassiers, les dévastateurs étaient tous identiques et changeaient alternativement de métier.

Les plus terribles parmi les fourmis fourrageuses sont les deux espèces d’écitons qu’on distingue par les épithètes de hamata et de drepanophora. Voici ce qu’en dit M. Bates :


« Ces deux espèces se ressemblent si exactement qu’il faut un examen attentif pour les distinguer l’une de l’autre. Leurs armées cependant ne se confondent jamais, bien qu’elles habitent les mêmes forêts et passent indifféremment sur les voies qu’elles se sont frayées. Au premier coup d’œil, les deux classes de travailleurs paraissent tout à fait distinctes à cause de l’énorme différence qui existe entre les plus gros individus de l’une et les plus petits de l’autre. On trouve, appartenant tous à la même famille, des nains longs d’un cinquième de pouce avec de petites têtes et de petites mâchoires, et des géans d’un demi-pouce de long dont la tête et les yeux ont pris des proportions relativement beaucoup moindres. Les classes pourtant ne sont pas séparées, car des individus existent qui réunissent les deux extrêmes. On voit les écitons presque partout sur les rives du fleuve des Amazones, où leurs épaisses colonnes voyagent par plusieurs centaines de milles sur tous les chemins de la forêt primitive. On ne se promène guère sous bois sans rencontrer l’une ou l’autre espèce, et c’est à elles que se rapportent probablement les histoires que nous lisons dans les ouvrages sur l’Amérique du Sud de fourmis débarrassant les maisons de leur vermine; cependant je n’ai jamais entendu dire une seule fois qu’elles entrassent dans les habitations, leurs ravages étant toujours confinés aux portions les plus denses de l’épaisse forêt.

« Le piéton qui rencontre une de ces armées de fourmis en est d’abord averti par l’inquiète agitation et les petits cris répétés des oiseaux grisâtres (ant-thrushes), qui par petits vols peuplent la jungle. S’il n’y fait pas attention, s’il s’avance de quelques pas, il est soudain attaqué par une quantité de ces féroces petites créatures. Elles montent avec une incroyable rapidité le long de ses jambes, chacune saisissant la peau de l’ennemi avec des mandibules semblables à des pinces, et, une fois ainsi cramponnées, recourbant sa queue en dedans pour le piquer de toutes ses forces. Le malheureux n’a d’autre alternative que de s’enfuir au plus vite. S’il est escorté par des indigènes, il peut être certain de les voir donner l’alarme en criant : Tauoca! tauoca! et prendre leurs jambes à leur cou pour gagner la queue de la colonne. Il lui faudra, une fois délivré, arracher un à un les insectes tenaces qui se sont attachés à son épiderme, et pour cela les couper en deux en laissant les têtes et les mâchoires dans les petites plaies où elles restent enfouies.

« Toutes les fois que les écitons sont en mouvement, le monde animal