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il reste le met doublement à l’abri de leurs attaques, ce petit sac en forme d’œuf cédant à la moindre impulsion et au moindre coup de bec. La petite chrysalide dort ainsi paisiblement dans sa cage aérienne jusqu’à ce que l’heure de la transformation ait sonné.

La fourmi saüba (œcodoma cephalotes), qui dépouille de leur feuillage les arbres les plus précieux, est un des plus grands fléaux du Brésil, et M. Bates, dans son premier volume, lui a consacré presque tout un chapitre véritablement intéressant; mais, dans les campos ouverts de Santarem et dans les forêts qui entourent Éga, il a vu, il a suivi ces armées d’écitons (le tauaca des Indiens), qui sont à l’homme dans certains cas ce que la saüba est à l’arbre, et dont on n’attaque pas impunément les innombrables bataillons. Le trait caractéristique des écitons est de chasser leur proie en corps réguliers, ce qui leur a fait donner le nom de fourmis fourrageuses. On en distingue plusieurs espèces, et chacune a sa manière de chasser. L’éciton rapax par exemple, le géant de son espèce, marche dans les forêts en ordre indien, c’est-à-dire sur une seule file; ses armées ne sont jamais très nombreuses, et ses expéditions sont principalement dirigées vers les nids d’une autre espèce de fourmi, sans défense malgré sa grosseur, dont il rapporte dans ses greniers les cadavres mutilés. L’éciton legionis, beaucoup plus petit et plus facile à observer en ce qu’il manœuvre ordinairement à ciel ouvert dans les plaines les plus nues, se forme en larges colonnes et n’avance guère que par milliers. M. Bates les a vus assiéger très régulièrement une fourmilière du genre de celles dont nous parlions plus haut. Sur la face d’un plan incliné, les écitons creusaient dans une terre légère de véritables mines de huit ou dix pouces de profondeur; ces conduits aboutissaient aux nids des inoffensives formicœ, dont les agresseurs mettaient en pièces les menus vers et les cocons, sans épargner, cela va sans dire, les grosses fourmis elles-mêmes, qu’ils venaient saisir jusque dans la main de notre observateur pour les déchirer et s’en distribuer les membres. Ce qu’il y avait de plus remarquable dans ces opérations de guerre était la division du travail, organisée selon toutes les règles de l’art des ingénieurs. A mesure que chaque grain de terre était enlevé, il fallait le porter assez loin pour qu’il ne fût pas exposé à retomber dans la cavité entamée, et lorsque les puits atteignaient une certaine profondeur, les mineurs avaient à remonter les parois pour rejeter au dehors chaque menu débris enlevé au sol; mais alors le travail de chaque terrassier se trouvait allégé par des camarades qui, stationnant à l’embouchure du puits, s’emparaient du fardeau, et, avec un semblant de prévoyance dont M. Bates se déclare stupéfait, l’emportaient assez loin des bords du trou pour parer à toute chance