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près une once de cette odeur si estimée. Le sueu-uba ( plumieria phagedenica) pousse en grande abondance dans les endroits les plus secs des campas et ses longues feuilles d’un vert éclatant, toujours fraîches et pleines de suc, même dans les saisons les plus arides, ses fleurs blanches qui ressemblent à celles du jasmin, forment la principale décoration de ces lieux déserts. L’écorce de cet arbre, les feuilles et la queue de ses feuilles recèlent en abondance une sève laiteuse que les indigènes emploient généralement comme emplâtre dans toutes les inflammations locales, passant d’abord sur la peau une brosse imbibée de ce liquide et recouvrant de coton l’endroit humecté. M. Bates a vu ce remède amener bien des cures, mais il semble tenté d’en attribuer l’efficacité à la chaleur animale produite par l’application de la ouate.

Éga, où il a passé les quatre dernières années de son séjour dans la vallée des Amazones, n’est point, tant s’en faut, une ville nouvelle; elle existe depuis 1688, où le père Samuel Fritz, jésuite de Bohême, parvint à fixer dans cet endroit quelques tribus d’Indiens éparses dans le voisinage. De 1781 à 1791, Éga devint le quartier-général de la grande commission scientifique envoyée pour délimiter les territoires espagnol et portugais dans l’Amérique du Sud. Aujourd’hui (du moins en 1859 les choses étaient encore ainsi) ce village, devenu cité depuis la création de la nouvelle province des Amazones, ne renferme, bien que chef-lieu d’une comarca, que cent sept maisons, à peine peuplées de douze cents âmes. Les environs, dans un rayon de trente milles, comptent environ deux mille habitans de plus, et sur ce nombre on ne trouverait guère plus d’une cinquantaine de blancs purs. Les nègres et les mulâtres forment un groupe à peu près de la même importance, et le reste de la population consiste exclusivement en aborigènes. Tout possesseur d’immeubles, y compris les Indiens et les nègres libres, a son vote dans les élections municipales, provinciales, impériales; il est inscrit sur les listes du jury et apte à servir dans la garde nationale. Les plus ignorans parmi les gens de couleur ne semblent pas évaluer très haut ces privilèges essentiels, compensés par d’onéreux devoirs. M. Bates constate cependant que dans le cours des neuf années dont il a pu étudier les progrès, une amélioration notable s’est fait sentir à cet égard. Il a vu s’établir à Éga même une lutte assez vive pour la présidence de la chambre municipale, et débattre avec ardeur l’élection des membres qui devaient représenter la nouvelle province au parlement impérial de Rio-Janeiro. En cette dernière occasion, le parti du gouvernement avait envoyé de la capitale un avocat fort habile et fort peu scrupuleux, chargé d’intimider l’opposition et de faire triompher le candidat officiel. Un certain nombre