Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/732

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur de l’argent, et où on ne peut se procurer de domestiques, si on ne parvient, par toute sorte de séductions, à les faire déserter de chez un autre maître. »


III.

La ville de Santarem, où M. Bates arriva au mois de novembre 1851, et qui le retint pendant trois ans et demi, diffère essentiellement des autres établissemens européens formés sur le fleuve des Amazones. Les blancs (Portugais et Brésiliens) y sont relativement plus nombreux, et affichent de plus hautes prétentions à l’existence civilisée. L’étiquette y règne despotiquement. La plus belle chambre de chaque maison est réservée aux réceptions officielles, et malgré la terrible chaleur qui, vers l’heure de midi, l’heure des visites, fait des rues sablonneuses de Santarem autant de fours allumés, il serait messéant de se présenter autrement qu’en habit noir et en tenue de bal. On est reçu avec force complimens et prié de s’asseoir sur le sofa ou les fauteuils de laque dorés, à fond de canne, qui, disposés en carré, attendent solennellement les visiteurs. Quand ils prennent congé, leur hôte les reconduit avec force révérences, dont la dernière s’échange sur le seuil de la rue. Ces gens si polis ne fument guère, mais prisent largement, et déploient un grand luxe de tabatières d’or ou d’argent ciselé. Les réunions sont rares, les notables de la ville ne s’occupant guère que de leurs affaires et de leur intérieur, tandis que le reste passe sa vie au billard ou dans les salons de jeu, laissant femmes et filles enfermées sous clé au logis. Le voyageur anglais nous apprend cependant que depuis l’année 1853, où les premiers bateaux à vapeur se montrèrent sur le fleuve des Amazones, un débordement d’idées et de modes nouvelles a quelque peu modifié les scrupules de la jalousie portugaise. Chef-lieu d’une comarca ou département, et en sa qualité de bourg électoral, Santarem a un corps de fonctionnaires publics entretenus au grand complet : un grand-juge à poste fixe (juiz de dircito), un juge municipal (juiz municipal), un greffier, ou garde des archives (promotor publico). Le chef de la police (delegado) est aussi un magistrat ayant juridiction sur toutes les affaires sommaires. Ces personnages officiels sont tous à la nomination du gouvernement central, et tout étranger nouveau-venu, s’il veut se faire admettre dans les salons, leur doit une visite, ainsi qu’au chef militaire et aux principaux résidans de la localité. L’instruction publique y est organisée avec un certain apparat. Outre les deux écoles primaires (filles et garçons) qui se trouvent là comme ailleurs, il y en a une troisième, d’ordre un peu plus élevé, où des maîtres payés