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ques étroits avec le corps principal des Mundurúcus qui habitent les rives de la rivière Tapajos, à six jours de marche de l’établissement cupari. Peu de mots firent comprendre à l’intelligent tushaúa le but du voyage de M. Bates. Ni lui ni les siens ne s’étonnèrent que les hommes blancs admirassent les magnifiques oiseaux, les animaux de leur pays, et voulussent en faire collection[1]. Il ne fut donc pas question de trafic, et les sauvages ne témoignèrent aucun désir indiscret au sujet des provisions de tout genre que les voyageurs portaient avec eux. Leur chef raconta les détails de l’expédition qu’il venait de diriger à la tête d’une trentaine de jeunes hommes armés de fusils, de flèches, d’arcs et de javelines. Vainement, pendant quarante-huit heures, ils avaient poursuivi l’ennemi, qui était venu au nombre d’une centaine, hommes, femmes et enfans, déraciner leurs cannes à sucre, déterrer leurs patates douces, et qu’ils avaient pourtant suivi de fort près, puisque le feu de la dernière station après laquelle sa trace s’était perdue brûlait encore à l’arrivée des Cuparis. L’unique trophée de l’expédition était un petit collier de graines rouges dont le tushaúa fit présent à M. Bates. Celui-ci, en revanche, lui montra pour l’amuser deux volumes du Knight’s Pictorial Museum.


« Les gravures, nous dit-il, lui plurent infiniment, et il appela ses trois ou quatre femmes pour les leur montrer. L’une d’elles était une belle enfant parée d’un collier et de bracelets en grains bleus. Les autres squaws eurent bientôt quitté leur ouvrage, et j’eus alors autour de moi une foule de femmes et d’enfans qui manifestaient à l’envi une curiosité fort extraordinaire chez des Indiens. Ce ne fut pas une mince affaire que de leur montrer une à une toutes les illustrations; mais ils ne me laissaient point passer une page, me forçant, si je feuilletais trop vite, à revenir en arrière. L’image de l’éléphant, des chameaux, des orangs-outangs et des tigres parut leur causer une vive surprise. Du reste, ils s’intéressaient à presque tout, même aux coquillages et aux insectes. Ils reconnurent les portraits des mammifères et des oiseaux les plus remarquables parmi ceux à qui leur pays donne naissance : le jaguar, les singes hurleurs, les perroquets, les trogons[2] et les toucans. On décida que l’éléphant devait être une grande espèce de tapir; mais en général ils faisaient peu de remarques et se servaient de l’idiome mundurucu, que je comprenais fort imparfaite-

  1. Les blancs et sang-mêlé de Santarem et d’Éga n’étaient pas toujours aussi avisés que ces sauvages. Ils ne pouvaient s’expliquer la chasse aux papillons que comme un moyen de fournir des modèles aux dessinateurs des fabriques de calicot peint, et M. Bates fut obligé, pour donner à ses travaux une couleur raisonnable, de laisser croire que le British Museum payait ses recherches scientifiques.
  2. Magnifique oiseau dont le dos est d’un vert brillant et la poitrine parfois teintée de rose, parfois d’un bleu d’acier. Les naturels l’appellent suruquà, et le distinguent en suruquà d’igapo (ou de terre inondée) et suruquà de terre ferme.