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haut degré de civilisation, considérablement assistés en ceci par cet inestimable animal, qui leur servait de bête de somme, les habillait de sa laine, les nourrissait enfin de son lait et de sa chair.

Dans les plaines de l’Amérique tropicale, il n’existe pas d’animaux qu’on puisse comparer au bœuf, au cheval, au mouton, au porc. Ce dernier y est représenté par deux espèces sauvages, mais qui, au dire de M. Bates, n’ont pas de rapports étroits avec le pourceau domestique d’Europe. Quant aux trois autres, dont le concours a si puissamment secondé les premiers progrès de la civilisation en Asie et en Europe, ils sont absolument inconnus. Ce n’est pas que la région des Amazones manque absolument d’animaux qu’on pourrait apprivoiser et dont la chair est mangeable. Le tapir, le paca, le cutia, les dindons dits currassows[1], sont fréquemment élevés dans les maisons et s’apprivoisent aussi complètement que les animaux de l’ancien monde; mais ils ne servent à rien, faute de se reproduire dans l’état de captivité. Tout le tort dans cette affaire est-il du côté des naturels? On peut en douter en les voyant faire cas de la volaille ordinaire, importation européenne adoptée par tous, même par les tribus qui vivent à l’écart de l’homme blanc au sein des solitudes les plus reculées. Il faut convenir encore cependant qu’on élève la volaille avec trop peu de soins, et que la multiplication s’en opère avec beaucoup de lenteur dans le pays dont nous parlons. Il reste donc certain que l’entretien des animaux à l’état domestique ne se trouve que médiocrement compatible avec les habitudes les plus invétérées des Indiens. Cette inaptitude caractéristique pour la domestication des animaux explique-t-elle suffisamment que ceux du Brésil soient inférieurs à ceux de l’ancien monde par rapport à la faculté de se reproduire "en captivité? Sans répondre catégoriquement à cette question, M. Bates hasarde une autre hypothèse. Il explique l’infériorité dont nous parlons, « sans se charger d’en découvrir exactement les causes, » par ce qu’il appelle « la domination de la forêt primitive » dans les contrées où elle a tout envahi :


« Les ethnologistes (dit-il) ont établi récemment que, partout où les bois couvrent la surface d’un pays, les races aborigènes ne peuvent faire aucun progrès dans la civilisation. Le même résultat, pourrait-on ajouter, se produit dans ces vastes plaines nues, dont aucune végétation arborescente ne vient rompre la monotonie. Les animaux qui se sont rendus si utiles à l’enfance de la civilisation humaine sont ceux qui erraient à l’origine dans des

  1. Chez les Indiens, on rencontre à chaque instant des currassows, et entre autres une belle espèce de ces oiseaux (mitu tuberosa) qui devient familière à ce point de suivre les enfans partout où ils vont; mais dès qu’elle cesse d’être libre, cette espèce ne se propage plus.