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habileté commerciale, aussi prouvée que celle des Portugais eux-mêmes. En 1835-36, tandis que les blancs de Pará pliaient sous le joug des révolutionnaires et de leurs sauvages alliés, les mamelucos de Caméta, se donnant pour chef un intrépide curé nommé Prudencio, s’armèrent sous sa direction, fortifièrent leur petite ville, et repoussèrent les forces considérables que les insurgés avaient envoyées pour les réduire. Ils tirent quelque orgueil de ce souvenir, et en général de la réputation qu’ils ont acquise. Elle démontre effectivement que le mélange du sang indien et du sang blanc n’est pas une cause d’inévitable dégénérescence.

Le cafier, l’oranger, le cacaotier, abondent en ces contrées, dont la gomme élastique, le cacao et les noix du Brésil alimentent principalement le commerce d’exportation. Une assez grande insouciance prévaut néanmoins dans les soins donnés à ces produits du sol, et le bas prix des plantations, conséquence directe de leur mauvais rendement, atteste la condition misérable de l’agriculture locale. Un cacaotier bien entretenu peut donner annuellement jusqu’à une arroba ou trente-deux livres de noix, et près de Santarem on calcule encore une moyenne de sept cents arrobas pour dix mille plants; mais à Caméta et ailleurs, faute de soins, la récolte n’atteint parfois qu’un centième de ce produit, et dans les districts où les choses se passent ainsi, on vend le cacaoal sur le pied de 40 reis ou environ dix centimes l’arbre (y compris le sol qui l’alimente). A ce taux, on aurait une lieue carrée de terres plantées et en pleine valeur pour quelque chose comme 1,000 ou 1,200 francs. Le prix de vente du cacao varie beaucoup. La moyenne, selon M. Bates, serait d’environ 3,500 reis, à peu près 10 francs l’arroba.


« L’entretien d’une plantation ne demande que très peu de mains. L’arbre donne trois récoltes par an, savoir aux mois de mars, juin et septembre; mais celle de juin manque fréquemment, et les deux autres sont très précaires. Dans l’intervalle des récoltes, les plantations doivent être sarclées. La grande difficulté consiste à garantir les arbres des plantes grimpantes et des épiphytes, surtout des parasites du groupe des loranthacées, c’est-à-dire de la même famille à laquelle appartient notre gui, et qu’on appelle ici pès de passarinho ou « pied-de-petit-oiseau, » leurs jolies fleurs orangées et rouges rappelant par leur forme et leur disposition les trois doigts de l’animal ailé. Le fruit une fois mûr, les voisins s’arrangent pour venir s’aider mutuellement à faire la moisson, et chaque famille arrive ainsi, sans recourir au travail servile, à tirer parti de la petite plantation[1],

  1. Cet usage consacré, qui rappelle la coutume de « l’abeille » dans les backwood-settlements de l’Amérique du Nord, produit des réunions qui portent le nom de pucherum. C’est une occasion de fête en même temps que de travail. Ses invitations une fois lancées, la famille prépare une grande quantité de boisson fermentée, produit de pains de manioc imbibés d’eau, et qui porte le nom de taroba. On y ajoute une espèce de potage fait avec la manicueira, espèce de manioc doux, aux racines oblongues et juteuses, qui deviennent très sucrées après avoir été gardées quelques jours. C’est là tout le régal offert aux travailleurs invités. L’ouvrage se fait tant bien que mal, et le soir tout le monde est à peu près gris.