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les groupes de palmiers assai dressent à trente pieds du sol leurs frêles colonnes terminées par un léger panache de feuillage, où les minces flancs courent en festons, reliant le bananier superbe, et ses feuilles de velours longues de douze pieds, au bromelia hérissé de glaives et parfois de scies, — ces jardins, qui pourraient être les plus magnifiques du monde, sont abandonnés au désordre le plus complet. La barrière de bois qui devrait en défendre l’abord, renversée, éventrée par endroits, laisse entrer et sortir librement les pourceaux errans, les chèvres vagabondes, les essaims de volailles mal nourries. L’homme semble las de lutter contre la végétation puissante qui le déborde et l’envahit. Il se refuse à ce combat inégal, et il faut toute la rigueur des règlemens municipaux pour le contraindre à nettoyer chaque mois, chaque jour pour ainsi dire, le coin de terrain que viennent obstinément lui disputer les plantes parasites, sans cesse renaissantes malgré ses efforts.

Pará au surplus, lorsque M. Bates y arriva, c’est-à-dire en 1848, se remettait à peine de la tourmente révolutionnaire qui s’y était déchaînée dix ou douze ans auparavant, grâce à l’animosité de la population indigène contre les commerçans venus du Portugal. Cette haine subsistait encore, et la confiance n’était pas complètement rétablie; les marchands, les trafiquans portugais, n’avaient pas encore osé reprendre possession de leurs roçinhas, de ces belles villas enfouies autour de la cité sous de magnifiques ombrages. Sur les champs jadis cultivés, et laissés en friche depuis une dizaine d’années, la forêt primitive reprenait ses droits. Des rues entières, bordées de maisons à l’italienne, étaient évidemment désertes, et par les murs crevassés des hôtels en ruine, de jeunes arbres empiétaient insolemment sur la voie publique. Le commerce pourtant commençait à revivre, et onze ans plus tard, lorsque M. Bates quitta le Brésil, Pará était redevenue florissante, bien qu’en 1853 on eût séparé en deux l’immense province dont elle était le chef-lieu, et bien que la réputation de salubrité dont elle jouissait eût été fort ébranlée en 1850 par la fièvre jaune et en 1855 par le choléra, qui, inconnus jusqu’alors, décimèrent cruellement la population des Amazones.

Cette révolte de 1835, couronnement d’une lutte acharnée qui durait depuis 1823 entre le parti révolutionnaire indigène et l’élément portugais conservateur, fut motivée, comme l’avait été précédemment plus d’une émeute, par la faveur exceptionnelle que le gouvernement de Rio-Janeiro accordait ou était censé accorder aux émigrans du Portugal. Cette fois la province de Para se souleva tout entière. Le début de l’insurrection fut l’assassinat du président et des principales autorités. L’énergie de la résistance poussa les insurgés à réclamer le concours de la race métisse et même celui de