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petits capitalistes. La résine, aujourd’hui plus chère que le bon vin, est considérée comme une substance des plus précieuses, et les paysans ont abandonné l’usage de ces vilaines chandelles jaunes qui projetaient une acre fumée et crépitaient sans cesse en répandant autour d’elles d’innombrables gouttelettes aussitôt figées. Sous l’influence des hauts prix, la production s’est considérablement activée. Les hommes prudens se sont contentés d’adopter l’usage du godet Hugues, que l’on cloue sur le pin au-dessous de l’incision, et qui recueille presque toute la gemme à l’état pur; mais un grand nombre de propriétaires, voulant profiter de la hausse extraordinaire des résines, se rendent coupables d’une véritable barbarie à l’égard de leurs arbres et font pratiquer sur les troncs quatre incisions à la fois. Des milliers d’arbres, destinés peut-être à vivre encore un siècle, périssent ainsi comme des hommes saignés aux quatre veines, et seront remplacés au plus tôt dans une vingtaine d’années par les pins qu’on sème actuellement. Par suite de l’imprévoyante cupidité des habitans et malgré la transformation des landes en bois de pins, il se pourrait bien que les matières résineuses vinssent à manquer pendant quelques années sur le marché de Bordeaux.

Quoi qu’il en soit, l’industrie principale des anciens landais est définitivement condamnée. L’espace manque aux troupeaux de brebis qui paissaient dans les bruyères; ils battent en retraite devant la forêt, et bientôt ils auront disparu. Les bergers nomades qui les conduisaient cesseront en même temps de parcourir les solitudes à 3 mètres au-dessus du sol, et, descendant de leurs échasses sur le sol affermi de la forêt, ils se livreront à un travail sédentaire. La plupart, devenus résiniers, s’occuperont de l’exploitation des pins; d’autres élèveront quelques têtes de gros bétail dans les clairières; d’autres encore seront obligés de se faire cultivateurs et défricheront de petits champs dans les endroits les plus favorablement situés pour la production et l’écoulement des céréales ou des racines alimentaires. Quant à l’agriculture proprement dite, on ne saurait espérer qu’elle fasse de longtemps des progrès considérables, car la population est encore beaucoup trop clair-semée dans la région des landes; l’amour de la propriété, la distribution de salaires élevés ou la jouissance d’avantages exceptionnels pourront seuls vaincre l’attraction exercée par la ville de Bordeaux sur les paysans des campagnes environnantes. Pendant les cinq années qui se sont écoulées de 1856 à 1861, la population des 59 communes des landes situées au nord du bassin d’Arcachon et du chemin de fer de Bayonne s’est augmentée seulement de 2,770 habitans ou d’un vingt-sixième environ. C’est un accroissement qui semble bien