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Aussi croyait-il que précédemment la côte se développait encore beaucoup plus à l’ouest que le méridien des rivages de Saintonge et d’Oléron; suivant ses évaluations, la mer aurait englouti depuis quarante-deux siècles une zone de 80 kilomètres de largeur et de plus de 15,000 kilomètres carrés de superficie. En dépit du grand nom qui l’abrite, cette hypothèse ne doit pas être acceptée, car il n’est point prouvé que l’art de fixer les dunes par des plantations de pins et de chênes fût inconnu à nos ancêtres. Au contraire, il est probable que les Ibères et les Gaulois, vivant plus que nous dans la contemplation des choses de la nature, avaient déjà découvert et mis en pratique le seul moyen de protéger leurs demeures contre l’envahissement des sables et de la mer. Sans doute l’œuvre des anciens habitans fut mise à néant par les incendies pendant les tristes jours du moyen âge, alors que les peuples désespérés perdaient tout sentiment de prévoyance; mais il reste encore des plantations faites par les aborigènes. Sur un grand nombre de dunes, on découvre des troncs de chênes, de pins et d’autres essences, engloutis dans le sable à une certaine hauteur au-dessus de l’ancien niveau des landes. Bien plus, quelques dunes portent encore des bois magnifiques, qui comptent au moins plusieurs siècles d’existence. Non loin de Cazaux, on peut s’égarer dans une forêt où se dressent des pins gigantesques, sans rivaux en France, et des chênes mesurant plus de 10 mètres de tour. Dans l’atlas de Belleyme, publié vers la fin du siècle dernier, on voit aussi que le village de La Canau possédait une forêt de pins sur les dunes qui s’élèvent à l’ouest de l’étang. Des titres de 1332 parlent également de forêts qui recouvraient les dunes, et où les seigneurs de Lesparre allaient en joyeuse compagnie chasser le cerf, le sanglier, le chevreuil. Enfin Montaigne, écrivant au milieu du XVIe siècle, dit que les envahissemens des sables avaient lieu « depuis quelque temps. » D’ailleurs pourquoi les landais donneraient-ils, comme les Espagnols, le nom de monts ou montagnes à leurs forêts, même à celles de la plaine, sinon parce que leurs collines de sable étaient autrefois uniformément couvertes d’arbres ?

Il existe encore dans la configuration du sol une autre preuve de l’ancienne existence des forêts sur le littoral des landes. A 20 kilomètres environ au sud de l’embouchure actuelle de la Gironde, une large dépression marécageuse, commençant aux marais de la Petite-Flandre, traverse dans toute sa largeur la péninsule du Médoc. Tortueuse comme un ancien fit de fleuve, elle sépare les deux communes de Vensac et de Vendays, puis coupe en deux la chaîne des dunes et va s’unir aux rives du littoral. Plus au nord, les marais allongés de Grayan offrent également les traces du passage de la Gironde; mais il est défendu de hasarder une supposition sur