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et de Carcans. Cette partie du long voyage n’était pas la moins pénible, à en juger par la strophe suivante du chant des pèlerins :


« Quand nous fûmes dedans les landes, — bien étonnés, — nous avions l’eau jusqu’à mi-jambes — de tous côtés. — Compagnons, nous faut cheminer — en grand’journée — pour nous tirer de ce pays — de grand’rosée. »


Si l’on en croyait les traditions locales, la région des landes du Médoc qui avoisine les étangs aurait servi, vers le milieu du VIIIe siècle, de refuge aux Maures dispersés par Eudes, duc d’Aquitaine, après leur grande déroute de Poitiers. Le village de Vendays, situé au milieu des marais, non loin de l’extrémité septentrionale de la péninsule du Médoc, aurait même été fondé ou reconstruit par les fugitifs. De nos jours encore les habitans de Vendays se distinguent, dit-on, des autres landais par des traits plus accusés, rappelant une origine orientale, et la beauté de leurs femmes est passée en proverbe. Les chevaux de Vendays et des villages voisins sont aussi considérés comme les descendans des chevaux arabes amenés dans le pays par les Maures vaincus. Sous l’influence du climat, de la nourriture et des croisemens, la race s’est peu à peu modifiée; mais elle garde encore quelque chose du type originel. Les plus belles parmi ces nobles bêtes étaient celles qui, échappées à la domesticité, parcouraient librement les dunes et les bords des étangs. On faisait la chasse à ces chevaux indépendans; mais, quand ils étaient pris, ces animaux, accoutumés à la liberté, refusaient souvent de manger dans l’écurie du maître et se laissaient mourir de faim. Récemment encore il existait un de ces chevaux sauvages, bien connu des bergers, qui lui avaient donné le nom de Napoléon. Des troupeaux de bœufs libres erraient aussi au milieu des lèdes; ils appartenaient d’une manière indivise aux communes, et de temps en temps on les décimait à coups de fusil.

Les villages situés à la base orientale des dunes, sur le bord des étangs, devaient se déplacer de temps en temps vers l’est, sous peine d’être engloutis par les sables ou par les eaux. A l’approche du danger, les pâtres et les pêcheurs démolissaient leurs cabanes pour en emporter les matériaux, et se bâtissaient de nouvelles demeures à une certaine distance dans l’intérieur de la lande. Les années, les siècles s’écoulaient; mais les dunes et les étangs marchaient toujours, et de nouveau les habitans étaient condamnés à transférer leurs villages au milieu des bruyères. C’étaient Là des malheurs prévus, et la chronique gardait le silence sur ces émigrations successives des landais; elle se borne à mentionner les noms de quelques églises qu’on a dû abandonner aux sables pour les re--