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sion. Les uns étaient, dit-on, d’honnêtes vieillards qui guérissaient par les passes et les attouchemens magnétiques, et refusaient tout paiement, de peur que le contact impur de l’argent ne les privât de leur vertu de guérisseurs. Les autres étaient des bergers au regard sinistre qui traçaient des cercles magiques, brûlaient des cheveux, de la graisse et du soufre, évoquaient le diable en termes cabalistiques et célébraient de hideuses cérémonies grassement payées. Parfois ces nécromanciens réussissaient à guérir par l’effroi là où toute médication régulière eut échoué; mais en se relevant de son lit de douleur, le paysan était devenu pour le reste de sa vie une proie de la terreur: il tremblait en entendant le cri de la chouette ou du hibou, il redoutait les sorts, les enchantemens, et souvent il craignait de rencontrer un loup-garou jusque dans son voisin ou dans un membre de sa propre famille.

Cependant les habitans des landes avaient autrefois la réputation d’être très hospitaliers; mais on doit ajouter que leur hospitalité était peu méritoire, car les occasions de l’exercer étaient d’une extrême rareté, et dans ce pays, où il n’existait point d’auberges, le refus d’un gite pouvait équivaloir parfois à une sentence de mort. En dépit du bon accueil que les landais devaient faire aux étrangers, ils éprouvaient en général le plus farouche sentiment de défiance à leur égard, et l’on ne saurait s’en étonner, puisque tout contribuait à les éloigner du monde, leur genre de vie sordide, la grande distance des centres de population, l’effroi continuel causé par les pratiques de la sorcellerie; ils n’entraient guère en communication avec les autres hommes que pour l’échange de leurs denrées ou le paiement de leurs impôts et de leurs dettes. À cette sauvagerie ils ajoutaient d’autres défauts qui provenaient peut-être de leur fréquent état de fièvre : ils étaient nerveux, irascibles, vindicatifs. D’une excessive sobriété pendant le cours ordinaire de la vie, ils se livraient dans les grandes occasions à des libations immodérées et trouvaient leur volupté dans l’ivresse. Leur grande passion était celle de l’argent. Ils l’aimaient comme l’aime en général le paysan français, c’est-à-dire avec frénésie, et lorsqu’après une vente ils touchaient la première pièce d’argent, ils ne manquaient jamais de faire dévotement le signe de la croix sur cette monnaie chérie. On raconte plaisamment que jadis ils se rendaient seulement de nuit à certaines foires, afin de pouvoir mieux se tromper les uns les autres. Une de ces foires, tenue dans la lande près du village de Lubbon et rappelant sans doute une antique solennité religieuse, était consacrée spécialement à la vente des sonnettes en cuivre qu’on suspend au cou des animaux. Pendant toute la nuit, les acheteurs tendaient l’oreille de leur mieux afin d’apprécier la qualité du son et ne pas se laisser imposer les mauvaises sonnettes remises pour