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ombrages, et c’est de cette terrasse que ses regards près de s’éteindre ont contemplé pour la dernière fois la ville éternelle… Le soleil allait se coucher. J’entraînai le prince à Saint-Onuphre. Ayant traversé l’église, une porte latérale nous donna entrée dans un atrium qu’entourent de petites arcades soutenues par des piliers. De là nous gagnâmes le jardin dont la grille était ouverte. Ce jardin, d’une médiocre étendue, est situé sur la crête même du Janicule. Le sentier que nous suivions court entre un potager et une vigne en pente qui enlace ses pampres à de longs roseaux. Rien de plus simple que cet agreste décor : un champ de tomates, des fèves, des figuiers, un bassin de fontaine aux marges moussues et ombragé de lauriers-roses, le bruit léger d’un ruisseau qu’on ne voit point, des saules qui se penchent pour écouter la plainte de cette eau fugitive qui s’échappe en se dérobant sous leurs pâles feuillages. À quelques pas plus loin, le terrain se relève brusquement, et l’enclos se termine par un tertre de gazon. Du côté du couvent, ce tertre présente aux regards une grotte dont l’entrée est obstruée par des gravois et des ronces, et que surmonte une niche décorée d’une urne brisée. Là tout est laissé à l’abandon, là foisonnent à l’envi les folles herbes, le lierre, l’ortie, la laitue, et les mille jets fantasques d’une vigne sauvage qui s’entortille à des buissons et à des osiers ; mais sur la pente du monticule qui regarde Rome a été pratiqué un petit hémicycle dont les gradins en brique sont dominés par une rangée de cyprès. C’est là que Philippe de Neri rassemblait ses jeunes élèves et leur enseignait une musique d’église toute nouvelle ; c’est sur ces gradins que sont nés, avec les harmonies du drame chanté, ces opéras sacrés qu’on appelle des oratorios. Au bas de l’hémicycle, une étroite terrasse est bordée par un petit mur en ruine ; à main gauche s’élève l’énorme tronc du chêne du Tasse, dont une branche maîtresse a été fracassée par la foudre, ce qui a pu donner lieu aux méchans propos que je vous rapportais tout à l’heure.

Ah ! quel tableau embrassaient de là les regards du divin poète ! À droite, le prolongement en courbe du Janicule avec son Transtévère à ses pieds, avec ses bosquets, ses vergers, ses terrasses couronnées d’églises, jusqu’à ce qu’en face de l’Aventin il dévale brusquement dans le Tibre, resserré à sa sortie de Rome par ces deux hauteurs rivales ; — de l’autre côté, s’abaissant en pente rapide, un bois d’yeuses, de noirs cyprès et de plus d’un vert velouté : — en bas, le Tibre qu’on voit à peine, mais dont le cours se fait reconnaître à la longue rangée de maisons sur pilotis qui l’accompagnent, hautes masures lézardées, ébréchées, jaunes comme les eaux qui en baignent le pied et percées d’étroites fenêtres où pendent des guenilles.