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jour-là, Seigneur, déposant pour la première fois votre couronne d’épines, vous aviez ceint votre front des violettes parfumées qu’avait vues fleurir l’Hissus, et vous teniez à la main un lotus du Nil d’une blancheur immaculée. Alors, vous penchant sur tous ces dieux et ces sages, on vit vos lèvres sourire et votre bras s’étendre pour les bénir, — et une voix d’ange, plus douce encore que celle qui avait annoncé votre nativité, s’écria : — Gloire à Dieu sur la terre ! paix entre les dieux réconciliés sous le regard du Christ ! Bénie soit la sainte église universelle !

Le prince avait prononcé ces paroles avec tant de véhémence et avec un accent si pénétrant, que j’en fus profondément ému. Que dis-je ? mon saisissement fut tel, que j’eus une véritable vision. Je crus voir le crucifix se détacher de la muraille et le Christ se pencher en souriant vers l’Hermès Trismégiste, qui lui faisait face, et il me sembla que ce dieu à tête d’épervier tressaillait sur son piédestal. Les deux bustes de Platon et la Minerve Poliade tressaillirent aussi. Et aussi loin que s’étendaient mes regards, je vis le peuple de dieux qui remplissait la galerie s’incliner pour recueillir la bénédiction et le sourire du Christ. Sur les murailles aussi et dans les arabesques dont elles étaient peintes, tout remuait. Les phénix agitaient leur huppe de pourpre, les longs cheveux des sirènes flottaient au vent, les roses et les lotus frissonnaient de joie, les mystérieux scarabées égyptiens entr’ouvraient leurs ailes d’émeraude qui jetaient des étincelles. Une chaleur brûlante s’était répandue dans l’air, un mystère s’accomplit dans mon cœur ; il me sembla que l’âme de la renaissance entrait en moi. Et si dans ce moment on m’eût donné des pinceaux et une palette, aussi vrai que j’existe, moi, le baron Théodore…

— Vous auriez peint à tout le moins une des sibylles de Michel-Ange, interrompit Mme Roch, qui eut vraiment l’air de se réveiller. Enfin vous avez trouvé le mot pour rire, mon cher baron. Il en était temps, je vous assure.

— Madame, répondit-il, je vous jure que dans ce moment je n’étais pas en humeur de rire, le prince encore moins. Il était si ému, que je lui proposai de prendre l’air pour se remettre. Madame, je vous en supplie, gardez encore votre sérieux pendant quelques minutes… Nous allons en pèlerinage.

Dans les jardins du couvent de Saint-Onuphre, on montre le chêne séculaire à l’ombre duquel le Tasse aimait à s’asseoir dans les derniers jours de sa déplorable vie. Est-ce une légende ? Est-il vrai que le véritable chêne du Tasse a été abattu par la foudre il y a quelques années ? Peu importe, ces jardins ont vu le poète, la mort sur les lèvres, se promener d’un pas chancelant parmi leurs