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adorateurs de l’antiquité que leur idolâtrie pour Platon avait rendus infidèles au Christ.

Alors il s’élança de son siège, et, se tenant debout devant moi, une main appuyée sur la statue d’Hermès Trismégiste, il me dit d’une voix émue : — Pendant combien de temps les avez-vous étudiés, ces maîtres que je vénère, pour avoir le droit de les juger ainsi ? Eh quoi ! c’était un adorateur des faux dieux, ce Ficin qui n’a pas écrit une page où l’église ne soit glorifiée ! C’était un idolâtre de l’Académie, celui qui n’aimait Platon que parce qu’il mène à Christ, et qui, s’appelant lui-même un pêcheur d’hommes, s’écriait : «Servons-nous des filets du platonisme pour pêcher des âmes au crucifié ! » C’était un esprit fort, celui qui consacra sa vie à combattre l’averroïsme, celui qui déclarait que l’église a dans ce monde deux sortes d’avocats : les philosophes et les miracles, et qui attesta douze prodiges opérés de son temps par les reliques de saint Pierre à Volterra ? Et comment n’eût-il pas cru aux miracles, lui qui fut favorisé de visions béatifiques, lui qui fut guéri d’une maladie mortelle par l’intercession de la sainte Vierge ?… Et c’était aussi un mécréant ce Pic de La Mirandole, que le zèle de la maison du Seigneur dévorait, ce cœur qui n’était qu’humilité et tendresse, ce profond philosophe qui avait fait vœu, dès qu’il aurait achevé son livre sur la Concorde, de distribuer aux indigens tout son patrimoine, et les pieds nus, un crucifix à la main, de s’en aller courir le monde pour prêcher le Christ dans les chaumières et dans les palais ! Sainte reine du ciel, je vous prends à témoin, car vous l’avez reconnu pour un de vos serviteurs, vous lui êtes apparue à son fit de mort, et il a expiré le sourire aux lèvres, voyant les cieux s’ouvrir sur sa tête !

À ces mots, le prince, transporté par son enthousiasme, se retourna du côté de l’oratoire, dont les portes étaient ouvertes, et levant les yeux et les bras vers le crucifix qui resplendissait dans l’ombre : — Seigneur, vous le savez, s’écria-t-il, ces hommes étaient à vous, et votre gloire se manifesta dans le pontife qu’ils avaient nourri de leur sagesse ! Oh ! Jérusalem, en dépit de tes souillures, que tu parus belle à toutes les nations en ces temps bienheureux ! De quel éclat divin brillaient tes autels et quelles fêtes tu célébrais dans ton enceinte agrandie ! Du nord et du midi et des profondeurs de l’Orient, tous les dieux s’étaient donné rendez-vous chez toi, ceux de la Perse, ceux de la Chaldée, ceux de l’Olympe et ces sphinx qui se taisaient depuis des siècles ; avec eux étaient accourus les sages, les sibylles, les antiques pythonisses, les mages et les prophètes, apportant tous de l’encens et de la myrrhe, — et tous ils se tenaient humblement prosternés autour du trône du Christ. Ce