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Scalabrino, que de tels avertissemens viennent de Rome, car ils sentent le collège germanique… Mais à qui échappe-t-il que, dans l’extase où l’a jeté la vue d’Armide, Eustache s’exprime à la manière des jeunes gens amoureux que l’enthousiasme fait extravaguer jusqu’à appeler leur dame déesse et paradis les lieux qu’elle habite ?… Et toutefois ces hyperboles excessives ne les font pas enfermer dans les cachots du saint office. »

Cependant l’inquiétude le prend : il sent que Silvio est une puissance, qu’il s’appelle légion. Dans l’espoir de le ramener par des concessions, il se résout à sacrifier tous les détails qui lui déplaisent. À ce prix, il pourra sauver le reste. Ce qui le rassure, c’est qu’il a des raisons de croire que les inquisiteurs de Ferrare et de Venise seront plus accommodans que le poetino. « Je suis fâché, écrit-il à Gonzague, de voir le seigneur Antoniani dans de telles dispositions. Votre seigneurie comprend que je me plains de sa sévérité en tout ce qui appartient à l’inquisition, et en vérité je crois que l’inquisiteur qui est actuellement à Ferrare, et qui y restera quelques jours, serait moins sévère. Je saurai m’y prendre : je ne donnerai pas connaissance au frère des censures qui me paraîtront trop rigoureuses ; je lui ferai voir simplement, sans dire mot, les vers censurés. S’il les trouve bons, je m’en tiendrai là. » Et il lui écrit encore : « Votre seigneurie m’a marqué quelque chose de l’excessive sévérité de… Si l’épisode de Sophronie est approuvé par deux inquisiteurs, obtenez de lui qu’il me permette de m’en tenir à leur décision. Demain, quoique ce soit le dernier jour du carnaval, j’irai m’entendre à ce sujet avec l’inquisiteur de Ferrare. » Malheureusement il ne trouve pas de ce côté toutes les facilités qu’il espérait. « Les vice-inquisiteurs procèdent aussi lentement dans la révision de mon poème que…, et je sais aussi qu’ils sont scrupuleux. Toutes ces lenteurs font le plus grand tort à mes projets. » Par momens il se décourage. « Je crains de n’avoir pas eu assez égard à la rigueur des temps présens et aux coutumes qui règnent aujourd’hui dans la cour romaine, de quoi je vais me doutant depuis peu, et cela m’a si fort effrayé que je désespère de pouvoir publier mon poème sans de grandes difficultés. Messer Luca peut m’en être témoin, et votre seigneurie elle-même, à qui j’en touchai quelques mots quand je la priai de me procurer le privilège du pape et de faire à cet effet les démarches nécessaires. Mais il suffit : à ce qui est passé il n’y a point de remède ; il n’y en a point, dis-je, parce que, pour sortir de misère et d’agonie, je me vois forcé de publier ce poème au plus tard après Pâques, et cependant je vous jure, par l’affection et le respect que je vous porte, que, n’était ma situation, je ne le ferais imprimer ni de si tôt, ni de quelques années, ni peut-être de toute