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habiles gens, et, problème qu’eux seuls savent résoudre, ils se chargent de cultiver les esprits en les stérilisant. Je crois voir l’arbre de la connaissance taillé et émondé par ces industrieux jardiniers, et par eux dépouillé soigneusement de ses fruits, pour être réduit au luxe d’un inutile feuillage.

Si la renaissance refuse de se rendre aux insinuations de ces bons pères, qu’elle tremble ! La foudre gronde sur sa tête. Pour venir à bout et de ses ennemis redoutables et de ses amis compromettans, la papauté arme son bras d’éclairs ; elle menace, elle frappe. Caraffa vient d’instituer à Rome un tribunal suprême de l’inquisition sur le modèle de l’Espagne. On entend dans toute l’Italie un bruit de verrous et de chaînes. Des bûchers s’allument : les vents balaient dans l’air des cendres de livres mêlées à des cendres humaines… Les temps n’étaient pas mûrs. L’idéal de l’Évangile éternel, après avoir apparu un instant à la terre, rentra dans la nuée enflammée d’où il était sorti.

C’est une chose bien étonnante que la chapelle Sixtine. Sur les pendentifs du plafond, Michel-Ange a peint ces sibylles et ces prophètes qu’on ne saurait trop vanter : à côté de Jérémie, la sibylle de Perse ; à côté d’Isaïe, la sibylle de Cumes. Ces figures sublimes, revêtues d’une beauté de lions pacifiques, symbolisent cette alliance du profane et du sacré qui fut l’ouvrage ou, si vous le voulez, le crime de la renaissance. Mais retournez-vous vers la muraille du fond : là s’étale dans toute son horreur cette fresque du Jugement dernier qui donne le frisson. Là règnent l’épouvante, le ver qui ne meurt point et les pleurs que rien ne console. Plus terrible encore que les hideuses contorsions des damnés est la face de ce Christ qui les maudit. Son bras semble lancer la foudre ; son visage, froidement atroce, est celui d’un inquisiteur sans entrailles !… Cessons de nous étonner : Michel-Ange a peint ce plafond sous Jules II et cette muraille trente ans plus tard, sous Paul III.

Paul III fut le Janus des papes. Ce Farnèse avait deux visages : l’un tourné vers le passé, l’autre vers l’avenir ; disciple dans sa jeunesse de Pomponius Lætus, il fit organiser l’inquisition romaine par Caraffa, et ne laissait pas d’aimer Érasme et Sadolet. Ses successeurs n’eurent garde de tomber dans de telles inconséquences. Un rigorisme dont rien ne tempère l’intolérance prend possession pour longtemps du siège apostolique. Pendant la seconde moitié du XVIe siècle, on voit s’asseoir sur le trône pontifical des hommes qui se ressemblent peu par les goûts et le caractère ; tous cependant tiennent la même conduite, déploient les mêmes rigueurs ; ils subissent la loi des circonstances ; le Gesù et les inquisiteurs-généraux gouvernent tout. Pie IV, cet homme affable, bienveillant et qui