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qu’on y remarque plusieurs grands et beaux temples. Les habitans, au nombre de vingt à vingt-cinq mille, se livrent en général à la pêche et au commerce. Les rues sont bien percées et tenues dans un assez bon état de propreté. La principale, qui continue le tokaïdo (roule de l’ouest), est parallèle à la plage : elle est large et bordée de maisons basses, dont les toits de chaume sont couverts de grosses pierres qui les protègent contre les brusques coups de vent si communs dans ces parages. Cette rue a plus d’un mille de longueur. Presque toutes les maisons sont transformées en boutiques, mais ce qu’on y expose en vente ne saurait tenter que des acheteurs japonais : ce sont des articles de première nécessité et de qualité médiocre au centre de la ville, sur le versant du pic, on voit flotter les pavillons de la France et de la Grande-Bretagne au-dessus d’un temple qui, depuis les traités, est devenu le siège des consulats de ces deux pays. Tout près de là se trouve le consulat américain. Quant aux Russes, fidèles à leur penchant à l’isolement, ils ont choisi à l’extrémité de la ville un emplacement assez vaste où sont installés, dans des maisons à l’européenne, un consul-général, un médecin et un pope, ainsi que les officiers de marine chargés de missions temporaires et d’un caractère fort énigmatique. Les Russes ont aussi fondé pour leur usage un hôpital qui se trouve dans le village de Kamida.

Hakodadé possède, comme toute autre ville japonaise, un quartier particulièrement destiné aux maisons de thé. Après le coucher du soleil, il ne serait pas prudent de s’y hasarder sans armes. C’est un endroit aussi mal famé que dangereux ; des rixes y éclatent sans cesse soit entre les matelots étrangers, soit entre ceux-ci et les indigènes. Il est rare que les premiers torts retombent sur les Japonais, gens polis et d’humeur pacifique ; mais il n’en est pas de même des matelots : malgré la sympathie qu’ils inspirent et qu’ils méritent, on ne eut les avouer pour les véritables représentans des sociétés européennes ; ils sont, avec leur caractère turbulent et querelleur, les hommes les moins propres au monde à civiliser paisiblement une colonie lointaine. Le lendemain de mon arrivée à Hakodadé, je rencontrai par les rues une douzaine de marins en état de complète ivresse : c’était l’équipage entier d’un baleinier américain qui venait de relâcher à Hakodadé à la suite d’une longue et fructueuse campagne. Les hommes n’avaient vu ni touché terre depuis plusieurs mois ; ils avaient soif de toute espèces de plaisirs, et ils avaient assez d’argent pour donner libre carrière à toutes leurs fantaisies. Ils avaient commencé par s’enivrer d’eau-de-vie en mettant pied à terre, et en chantant ils parcouraient la ville à la recherche d’une distraction quelconque. Une querelle eût été pour