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II.

L’île de Yézo est une conquête du Japon sur un peuple jadis puissant et nombreux, mais singulièrement déchu aujourd’hui. Placée au nord de la grande île de Nippon, elle en est séparée par le détroit de Tsougar. Elle a la forme d’un triangle irrégulier, et occupe une surface montagneuse d’environ trente mille milles carrés. On n’y compte guère plus de cent mille Japonais et de cinquante mille indigène : nommés Aïnos. Le taïkoun, chef du pouvoir exécutif au Japon, possède en particulier à Yezo un territoire d’une faible étendue, mais sur lequel se trouve la grande cité d’Hakodadé. Le plus puissant feudataire de Yézo est le prince de Mats-maï, vassal lui-même du taï-koun. Ses domaines couvrent au sud-ouest une bonne partie de l’île, et forment une principauté dont la capitale, Mats-maï, à l’une des extrémités du détroit de Tsougar, renferme de dix à quinze mille habitans. Cette ville, n’ayant pas été comprise parmi les ports ouverts aux Européens, n’est guère connue que de nom. Un marchand étranger que l’amour du négoce et des aventures avait poussé à Mats-maï, et qu’on y avait retenu prisonnier pendant quelques jours, m’a raconté que, semblable aux autres cités japonaises, cette ville était propre et bien tenue, et qu’elle contenait, outre les édifices destinés au prince et à sa suite, un grand nombre de temples. Le reste de Yezo, c’est-à-dire ce qui n’appartient ni au taïkoun ni au prince de Mats-maï, est divisé en portions à peu près égales entre les sept grands princes du nord de Nippon, à la charge d’entretenir à frais communs, pour la défense de l’île entière, une garnison de huit mille soldats qui occupent des postes militaires échelonnés autour des côtes.

La population japonaise de Yézo est répartie dans ces deux villes de Hakodadé et de Mats-maï, ainsi que dans d’autres centres d’une moindre importance, et qui se sont formés en grande partie dans le sud. Sans négliger le commerce et l’agriculture, cette population se livre principalement à la pêche et en tire un revenu considérable, car le poisson abonde tellement dans ces parages qu’une nombreuse flottille d’embarcations marchandes est employée durant l’année entière à le transporter dans les ports de l’île de Nippon.

Dans l’intérieur de Yézo, on rencontre les Aïnos. Sans le témoignage de l’histoire, il serait impossible, en voyant leur condition actuelle, de reconnaître en eux les anciens maîtres de l’île. Ils vivent éloignés des côtes où se trouvent les grandes villes, et ne s’y montrent qu’au printemps et en automne pour y troquer des fourrures et du poisson contre du riz et des étoiles. Leurs habitudes, les traits de