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les députés des uns comme des autres auraient une part égale d’influence politique dans le gouvernement. Sans qu’il soit nécessaire d’être riche, il suffirait d’être détenteur d’une fraction de la richesse nationale pour être appelé à représenter celle-ci au scrutin, de même qu’il ne serait pas besoin d’être un travailleur intelligent ou courageux pour représenter l’intérêt ouvrier, car il y a quelques oisifs volontaires dans les classes laborieuses, et leurs droits, égaux aux nôtres, sont sacrés.

Pour que la représentation distincte des intérêts fût complète, il faudrait d’abord que chaque catégorie votât séparément, et alors les ouvriers et les pauvres, toujours trop facilement poussés à réclamer violemment contre l’ordre établi, verraient avec évidence qu’ils ont par ce moyen une voie ouverte aux réclamations légales, et ils se croiraient beaucoup mieux défendus et protégés par des représentans spéciaux. Peut-être en ce cas obtiendrait-on que l’ouvrier farouche et abusé n’allât pas conspirer dans l’ombre, ce qui n’est ni fier ni digne d’un électeur et du citoyen d’un grand pays.

En outre le vote séparé pourrait conduire au renouvellement annuel des assemblées par cinquièmes. Cette théorie a déjà été l’objet d’une brillante discussion en 1817; est-elle absolument condamnée? De l’élection échelonnée il résulterait chaque année une infusion nouvelle de l’esprit du pays dans le pouvoir représentatif; ce serait une chambre qui ne vieillirait pas, et en politique il n’est guère permis de vieillir parmi nous.

D’après cette hypothèse, les intérêts séparément groupés serviraient à diviser et à fortifier le suffrage universel, mais non à gouverner directement. Dans leur accord et leur confrontation se rencontreraient d’utiles élémens pour gouverner, et la chambre élective produite par un tel système ne serait uniquement ni une chambre de commerce, ni un comice agricole, ni une réunion de syndicats ou d’actionnaires, mais le lien véritable et la grande unité du pays, représenté tout entier par chaque député d’après le principe admis jusqu’ici en France et en Angleterre malgré les divisions locales et les circonscriptions géographiques adoptées chez l’une et l’autre nation. Quant à l’esprit d’une chambre ainsi constituée, on peut être sans crainte. Les intelligences s’élèvent et s’échauffent vite dans les grandes assemblées politiques. Les Français réunis prendront toujours les questions d’assez haut, et, dès qu’ils auront commencé, ne seront pas longtemps à chercher, leurs voies dans l’art de bien discourir au Palais-Bourbon, ce paradis perdu des émotions parlementaires. Sans rien abandonner ni sacrifier dans la défense de notre cause, nous pouvons prendre en main celle du pauvre et de l’ouvrier, pour ne pas les laisser tomber sous la domination de