Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/603

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment lorsque de dures privations, des châtimens sévères, ont affaibli leurs forces physiques, que, vaincus sans être domptés, ils redeviennent dociles.

A quatre heures de l’après-midi, nous nous trouvions en pleine mer, hors de ce réseau d’îles et d’îlots qui s’étend le long des côtes du Japon et qui rend la navigation de ces parages aussi pénible que dangereuse. Le vent était devenu favorable, et nous voguions rapidement vers Tsou-sima, la première halte de notre voyage. Cette île est éloignée d’environ cent milles de Nagasacki par le nord-nord-ouest. Gouvernée par un prince tributaire du taïkoun, elle n’est pas ouverte au commerce étranger. Un peu auparavant, elle avait été visitée par des navires de guerre russes, et cette apparition inattendue avait donné lieu à de nombreuses conjectures sur la politique moscovite dans l’extrême Orient. Tsou-sima est d’une haute importance au point de vue stratégique et commercial. C’est en même temps une des plus belles îles du Japon, habitée par une population nombreuse, riche et intelligente. Située entre la Corée et l’archipel japonais et divisant le détroit de Corée en deux passes, celle de Broughton à l’ouest et celle de Krusenstern à l’est, elle commande l’entrée méridionale de la grande mer intérieure appelée Mer du Japon. Cette mer est devenue d’un grave intérêt pour la Russie, car elle baigne une partie des vastes territoires dont le général Ignatief, ministre plénipotentiaire du tsar, a su arracher la possession à la faiblesse de la cour de Pékin lors de la conclusion des derniers traités entre la France, l’Angleterre et la Chine.

Quelque temps avant notre départ de Nagasacki, au mois d’août 1861, l’amiral anglais sir James Hope croisait sur la côte occidentale du Japon ; ayant fait relâche à Tsou-sima, il y trouva, à son extrême surprise, trois bateaux à vapeur russes. En procédant dès lors à une inspection plus exacte de la baie, il découvrit que les Russes avaient formé un véritable établissement sur la côte, dans le voisinage de Fat-chou, chef-lieu de l’île. Comme ce port n’était pas compris dans le nombre de ceux que les traités venaient d’ouvrir aux étrangers, l’amiral pensa qu’il avait le droit de s’informer dans quel dessein les Russes avaient débarqué là plutôt qu’ailleurs. Ils répondirent qu’ils étaient occupés à relever une carte marine, et que l’entretien des nombreux malades qui encombraient le pont de leurs navires les avait forcés de s’installer à terre, que du reste ils ne prolongeraient guère leur séjour à Fat-chou, et qu’ils ne tarderaient pas à se rembarquer. Les Japonais de leur côté, questionnés à ce sujet, n’avaient point donné de la présence des Russes une explication aussi naturelle, et ils s’étaient même montrés un peu inquiets de ce voisinage. Sir James Hope s’empressa de rapporter cette