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avait prévenu Marie de l’origine et de la destinée de son fils ; mais, cette grosse contradiction une fois écartée, l’écrivain se remet à copier ce qu’il a lu ailleurs, sans paraître s’apercevoir de l’impression générale qui sort de ce qu’il copie, impression très peu d’accord avec celle de la légende qu’il a d’abord adoptée. Et il n’y a pas dans cet évangile un mot de plus sur la mère de Jésus.

Le troisième évangile développe bien davantage la légende de la naissance ; il est le seul qui contienne ce qu’on appelle l’Annonciation ainsi que la visite de Marie à Elisabeth et les effusions de Marie, et la prédiction douloureuse que lui fait le vieux Siméon. Il ajoute à cela l’histoire de Jésus prêchant dans le temple à douze ans. C’est là que son père et sa mère le retrouvent après l’avoir perdu plusieurs jours ; celle-ci se plaint à lui, et il répond : « Pourquoi me cherchiez-vous ? ne saviez-vous pas que j’avais affaire chez mon père ? Et ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait. » Ce trait est inconcevable après tout ce qui remplit les premiers chapitres, et là encore on voit bien comment, dans ces sortes de livres, on met un récit au bout d’un autre, quoique d’origine différente et de portée contraire. Du moment que Jésus est homme fait, Marie s’efface dans cette troisième narration aussi bien que dans les autres ; on n’y retrouve les deux mêmes passages que dans l’évangile qui porte le nom de Matthieu, et rien de plus, si ce n’est celui-ci, qui est du même genre : « Pendant qu’il parlait, une femme dans la foule, élevant la voix, lui dit : Heureux le ventre qui t’a porté, et les mamelles que tu as tétées ! Mais il dit : Heureux plutôt ceux qui entendent la parole de Dieu et qui l’observent ! »

Le quatrième évangile n’est pas moins différent ici que partout ailleurs des trois autres. D’une part il ne contient pas, pour des raisons qui ne sont pas ici de mon sujet, la légende de la maternité miraculeuse de Marie, de l’autre il ne reproduit pas non plus les traits défavorables à son personnage que j’ai relevés jusqu’ici ; mais il n’y a pas plus de respect pour elle dans le dialogue fameux des noces de Cana qui est particulier à cet Evangile : « Que me veux-tu, femme ? » passage qui a embarrassé plus d’un interprète de la parole sainte. Tel aumônier d’une pension de demoiselles a eu de la peine à soumettre l’esprit et la conscience d’une jeune fille révoltée par cette façon de répondre à une mère.

Me voici revenu à la passion. C’est, parmi les nouveautés de cet évangile, une des plus frappantes que la scène qui a été le point de départ de ces réflexions. Ainsi dans ce dernier et tardif évangile l’imagination a pu enfin se mettre à l’aise, et se représenter la mère à côté du gibet de son fils, dans cette attitude que le Stabat et les œuvres des peintres ont fixée pour tous les esprits et