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tière et se recommandait de son nom, et qui cherchait en effet à donner de l’importance à l’apôtre à qui on rapportait ce quatrième évangile, qu’on voulait faire croire qu’il avait écrit. J’insiste, puisque m’y voilà conduit, sur les différences très curieuses que présentent entre eux les quatre évangiles au sujet de la mère de Jésus. Si je remonte d’abord au plus ancien (dit l’évangile de Marc), je n’y trouve pas du tout, et c’est un des traits les plus remarquables parmi ceux qui distinguent cet évangile, la légende de la naissance miraculeuse de Jésus. Il n’y est pas dit un mot ni de la virginité ni de la maternité surnaturelle de Marie. Dans cet évangile tout entier, il n’est parlé d’elle que deux fois, et d’une manière peu favorable. Après avoir raconté les premiers miracles de Jésus et le bruit qui se fait autour de lui partout où il se montre, l’écrivain ajoute : «  Ceux de chez lui, ayant appris tout cela, vinrent pour le saisir, disant : Il a perdu le sens… Ses frères donc et sa mère survinrent, et, restant en dehors, ils l’envoyèrent appeler. Et la foule était autour de lui, et on lui dit : Voici ta mère et tes frères qui sont là dehors et qui te cherchent. Et il répondit : Qu’est-ce que ma mère et mes frères ? Et, promenant ses yeux sur tous ceux qui étaient autour de lui : Voilà ma mère et mes frères. » L’autre passage est celui où les Juifs s’étonnent que le nouveau prophète soit tout simplement le fils de Marie, cet homme de chez eux, dont ils connaissent de longue main toute la famille. « Et Jésus leur dit : Un prophète n’est nulle part moins en honneur que dans son pays, parmi ses proches et dans sa maison. » » Pour qui sait lire, il résulte clairement de ces passages, en dehors desquels le plus ancien évangile ne fait absolument aucune mention de Marie, que, dans la pensée de celui qui a écrit ce récit, la mère de Jésus ne croyait pas en lui. Elle ne s’était associée en rien à son enthousiasme et à sa vie extraordinaire ; elle ne le suivait pas dans ses courses à travers la Galilée et les régions voisines : elle le suivit donc encore bien moins quand à la fin il osa se produire à Jérusalem, si toutefois elle vivait encore. Ainsi elle n’était pas à sa mort suivant la tradition primitive, et c’est la seule façon d’expliquer le silence absolu que les trois premiers récits de la passion gardent sur elle.

L’Evangile qui porte le nom de Matthieu présente pour la première fois la naissance et la conception de Jésus comme surnaturelles, ce qui relève tout à coup singulièrement le personnage de sa mère. Il n’en reproduit pas moins les deux passages qu’on vient de lire au sujet de Marie ; il retranche seulement du premier la phrase la plus caractéristique : « Ceux de chez lui vinrent pour le saisir, disant : Il a perdu le sens. » Ces mots étaient trop évidemment en contradiction avec l’idée d’une révélation d’en haut qui