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un jardin délicieux où l’on continuerait à jamais la vie charmante que l’on menait ici-bas. Combien dura cet enivrement ? On l’ignore. Nul, pendant le cours de cette magique apparition, ne mesura plus le temps qu’on ne mesure un rêve. La durée fut suspendue, une semaine fut comme un siècle ; mais qu’il ait rempli des années ou des mois, le rêve fut si beau que l’humanité en a vécu depuis, et que notre consolation est encore d’en recueillir le parfum affaibli. Jamais tant de joie ne souleva la poitrine de l’homme. Un moment, dans cet effort, le plus vigoureux qu’elle ait fait pour s’élever au-dessus de sa planète, l’humanité oublia le poids de plomb qui l’attache à la terre et les tristesses de la vie d’ici-bas. Heureux qui a pu voir de ses yeux cette éclosion divine et partager, ne fût-ce qu’un jour, cette illusion sans pareille ! Mais plus heureux encore, nous dirait Jésus, celui qui, dégagé de toute illusion, reproduirait en lui-même l’apparition céleste, et, sans rêve millénaire, sans paradis chimérique, sans signes dans le ciel, par la droiture de sa volonté et la poésie de son âme, saurait de nouveau créer en son cœur le vrai royaume de Dieu ! »

J’en voudrais rester sur de telles paroles, et cependant le livre ne nous laisse pas oublier que ce paradis avait ses ombres, que le mal frappait à la porte, qu’on entendait la voix aigre des ennemis de Dieu, et que Jésus lui-même dut prendre souvent des accens plus âpres pour leur répondre, jusqu’aux jours où il ne trouva plus devant lui que la persécution, et l’abandon, et la mort. Jésus a su combattre, Jésus même a su haïr ; autrement il ne serait ni si grand ni si tendre, car qui ne sait pas haïr ne sait pas aimer. Cet aspect tout autre de Jésus est relevé ailleurs avec force, quand l’écrivain approche des sombres scènes de la fin. Ces scènes mêmes sont dignement traitées, mais l’écrivain n’a pas autant du sien à y mettre. La passion, surtout dans l’admirable texte du plus ancien Evangile, forme un tableau tout composé d’un incomparable effet, et où il n’y a rien à ajouter. Il n’en est pas de même quand il s’agit de se représenter l’action de Jésus dans les jours libres et tranquilles, et cette apparition qui semble avoir renouvelé un monde vieilli. Là aussi tout est sans doute dans l’Evangile, mais tout y est disséminé, comme l’âme d’un homme est éparse en effet dans son existence. Il n’y a alors que la puissance de l’imagination et de l’art qui soi capable de recomposer l’image confuse, et de la dessiner comme ici avec toute sa beauté et tout s)n charme.

Toute cette partie, qui est le fond même du livre, en est aussi la merveille. Que de choses cependant à recueillir dans tout le reste : l’étude si intéressante sur Jean, l’analyse des sentimens des pharisiens et de leur conduite dans le procès, les rapprochemens si cu-