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seurs. Les deux critiques sont sans action l’une sur l’autre ; ce sont des lignes qui ne peuvent se rencontrer, quoiqu’elles ne soient pas du tout parallèles, parce qu’elles ne sont pas dans le même plan.

On comprend donc que je ne m’engage pas plus avant dans cette voie, et que je rentre sur le terrain philosophique, en dehors duquel M. Renan n’a jamais posé le pied dans le vide. L’impossibilité et le néant essentiel du miracle, l’indéfectibilité des lois naturelles, la nature toujours pareille à elle-même dans le monde moral aussi bien que dans le monde physique, la naissance du christianisme et l’apparition de Jésus purs phénomènes historiques, magnifiques phénomènes, à la bonne heure, mais phénomènes comme les autres, et dont l’étude doit se faire suivant les mêmes procédés que toute autre étude, voilà le fond solide sur lequel le livre est bâti. Mon examen s’appuie sur les mêmes principes, et j’ai dû les proclamer d’abord, sans effort et tranquillement, comme choses toutes simples, mais non sans fierté et sans joie, puisqu’on peut en mesurer le prix à ce qu’il en a coûté pour les conquérir. Il a fallu depuis la mort de Jésus dix-huit siècles, et remplis de quelles épreuves ! avant qu’il soit devenu possible d’écrire humainement pour la première fois, avec une publicité franche et digne, l’histoire de la vie de Jésus.

Mais la critique purement négative n’est que la condition première et essentielle d’une telle œuvre, elle ne la contient pas et ne suffit pas à la produire. Sans elle, rien n’est faisable ; mais avec elle seule rien n’est fait. Ce qui se donnait comme surnaturel n’avait pas besoin d’être compris ; ce qu’on établit comme naturel et humain, on est tenu de le faire comprendre, et on sent bien que cela ne doit pas être facile quand, au lieu d’une histoire authentique, on n’a qu’une légende devant soi, et que le fond historique de cette légende, fond en grande partie effacé, est d’ailleurs séparé de nous, outre la distance des temps, par des mœurs et des habitudes d’esprit plus éloignées de nous que les temps mêmes. C’est cette distance que M. Renan a su combler, après nous l’avoir fait d’abord mesurer à merveille. « Comme la terre refroidie ne permet plus de comprendre les phénomènes de la création primitive, parce que le feu qui la pénétrait s’est éteint, ainsi les explications réfléchies ont toujours quelque chose d’insuffisant, quand il s’agit d’appliquer nos timides procédés d’induction aux révolutions des époques créatrices qui ont décidé du sort de l’humanité. » Il nous replace dans ces temps de foi où la pensée des hommes s’échappait sans cesse de la vie réelle pour poursuivre dans l’air un mystère ou un messie, où il semblait que tout ce qu’on touchait recelait en soi le divin et le merveilleux, qui étaient toujours prêts à se laisser saisir et sur-