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mort n’eût pas attendu à la porte. Samla parla de ses projets, car chez lui l’espérance était indestructible aussi bien que la conviction. — C’est partie remise, disait-d. Il faut savoir attendre, notre jour viendra !

Puis, après un silence, il dit à Jean : — Es-tu bien certain de ne plus rien désirer?

— Ce que je désirerais, tu n’y peux rien, répondit Jean. Je vais être pendu. Il est fort sot, je le sais, de disputer sur la forme extérieure de la mort; mais faire la grimace en haut d’une potence, devant des gens qui battront des mains, j’avoue que cela me gêne et m’humilie. J’aurais voulu, comme Flavio, mourir debout et devant des fusils.

— Je ne puis te donner les fusils, reprit Samla, mais je puis t’éviter la corde... Tiens, dit-il en lui remettant un petit flacon, voilà toute ma provision de délivrance. Je la gardais pour une occasion solennelle : uses-en, cher enfant, et pars avec cette consolation de n’être point un spectacle pour les curieux et les indifférens.

Deux heures après, lorsqu’on entra dans le cachot de Jean afin de le conduire au lieu de l’exécution, on le trouva raidi et mort, étendu sur le carreau. Autour de lui planait un étrange parfum d’amande amère. Un médecin appelé en hâte constata qu’il était mort foudroyé par une forte dose d’acide cyanhydrique. Le cadavre n’en fut pas moins pendu au gibet, pour l’exemple. On rechercha le moine qui avait pénétré dans la prison, mais on ne put le retrouver.

Le dernier vœu de Jean a été exaucé : il repose auprès de Sylverine. Flavio aussi a été réuni à eux. Dans les premiers jours du mois de septembre 1860, après que Garibaldi vainqueur eut traversé la ville de Cosenza, le corps de Flavio fut retiré de la petite chapelle Santa-Maria, où il avait été déposé. Apporté à l’église métropolitaine, il y fut reçu avec les honneurs militaires, au bruit des cloches qui sonnaient à toute volée; puis, chargé sur un caisson d’artillerie, accompagné d’une escorte, il fut conduit à Pola, embarqué, porté à Livourne, et de là à Pise. Ceux que la vie avait séparés sont aujourd’hui pour jamais réunis dans la mort. Sur leurs tombeaux, on lit simplement leurs noms, — Jean, Sylverine, Flavio, — que traverse une épitaphe d’une seule ligne. Elle est ainsi conçue : « Eccl., c. VII, V. 27. — La femme est plus amère que la mort, et ses mains sont des chaînes. »


MAXIME DU CAMP.