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Quand ils arrivèrent devant la porte de la maison, ils s’arrêtèrent; ils se serrèrent la main avec force : — Du courage ! se dirent-ils en même temps, comme s’ils s’étaient trouvés en présence d’un danger inévitable.

— Bonsoir à tous les deux ! dit Sylverine en les voyant entrer. Ils lui répondirent par un signe de tête et s’assirent : elle faisait de la tapisserie; sans lever les yeux, elle reprit : — Pourquoi n’êtes-vous pas venus me voir dans la journée?

Nul ne répondit. Étonnée de ce silence, elle regarda alternativement Jean et Flavio ; elle vit leur pâleur.

— Qu’avez-vous donc? leur demanda-t-elle. Puis, n’obtenant pas de réponse et s’étonnant : — Mais qu’y a-t-il au nom du ciel? êtes-vous muets?

Tous deux ils détournèrent la tête, comme pour éviter une interpellation directe ; elle se leva, vint à Flavio, lui prit la main.

— Voyons, Flavio, lui dit-elle; j’ai du courage, réponds-moi. Pourquoi ne me parles-tu pas?

Flavio sentit perler sur son visage cette sueur imperceptible qui est comme la rosée des émotions violentes, et il répondit d’une voix étranglée :

— Un mouvement est préparé vers Cosenza; l’un de nous doit aller en prendre la direction.

— Lequel va partir? s’écria-t-elle. Je pars avec lui.

— Quelle folie! dit Flavio. Ce sont des fatigues sans nombre à supporter ; je ne veux pas que tu partes.

— Je veux partir et je partirai, reprit Sylverine; tu m’as vue à l’œuvre, tu sais ce que je puis faire ; c’est décidé, je le veux. Qui de vous deux va en Calabre? Est-ce toi, Jean? est-ce toi, Flavio?

Jean baissait la tête sans oser répondre. Flavio fit un effort suprême et répondit : — C’est Jean; il part dans un mois.

Flavio avait reconquis tout son calme; Jean se tenait immobile et comme écrasé sur sa chaise. Sylverine lui mit la main sur la tête.

— J’irai avec toi, mon pauvre Jean, dit-elle, et tu verras que je ne suis pas mauvais compagnon de route.

— Oui, reprit Flavio, comme continuant sa pensée; Jean partira dans un mois, l’expédition sera courte ; elle a des chances de réussir; si tout va bien, j’irai vous rejoindre. Du reste, je n’ai pas de temps à perdre moi-même, car c’est moi qui dois tout préparer. Je pars demain pour les côtes de Toscane afin de faire disposer un navire et organiser les derniers arrangemens; dès que tout sera terminé, je reviendrai ici, et Jean partira.

Un soupçon traversa l’esprit de Sylverine; elle regarda fixement