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coussins, combattu par toutes les passions qui débordaient en lui, passait de la fureur à l’attendrissement, sans pouvoir trouver la force de prendre un grand parti. Il se leva enfin.

— Viens chez elle, dit-il à Flavio.

— A quoi bon? répondit celui-ci, à quoi bon lui donner le spectacle de ces violences et l’affliger de nos discordes?

— Viens chez elle, reprit Jean, je le veux, je t’en prie; qu’elle prononce elle-même; ce sera le jugement de Dieu, je l’accepte et je m’y soumets.

Ils sortirent : — Ah ! disait Jean marchant près de son ami, si tu pouvais savoir ce que je souffre et ce que j’ai souffert!

— Tu n’es pas seul à souffrir, repartit Flavio; mais tes cris de douleur t’ont si bien assourdi, que tu n’entends même plus les gémissemens des autres.

Ils arrivèrent chez Sylverine; elle resta immobile, mais elle eut un violent battement de cœur en les voyant entrer, car il ne lui fut pas difficile de lire sur leurs visages les émotions qu’ils venaient de subir. Elle sut se contenir néanmoins. — Quelle bonne fortune! dit-elle.

Jean marcha rapidement vers elle : — Écoute, lui dit-il, Flavio sait tout. Nous voici tous les deux, nous t’aimons; lequel aimes-tu? Parle vite.

Sylverine se leva toute pâle et tremblante; elle regarda ces deux hommes qui se disputaient dans son cœur, et, posant ses mains sur leurs épaules, elle osa dire : — C’est vous deux que j’aime!

Puis, comme brisée par la violence de l’aveu, elle éclata en larmes.

— O misère de nous! s’écria Jean. Ne vaudrait-il pas mieux mourir que de vivre ainsi?

Flavio s’approcha de Sylverine, la prit dans ses bras, la baisa au front, et, la tenant appuyée contre son cœur, il lui dit :

— Ma fille chérie, il ne faut point demander à des hommes ce que des dieux, quand il y avait des dieux, n’auraient pu supporter. Je suis un vieux soldat, j’ai eu tant de blessures, que je ne sais même plus le nombre de mes cicatrices. Tu crois à l’amour, soit; tu me guérirais de cette faiblesse, si je l’avais encore; tu aimes la vie, moi je n’y tiens guère, car je sais de quoi elle est faite. Je suis un obstacle pour vous deux, pour toi que j’aime avec des entrailles de mère, pour Jean, qui est comme mon fils; je me retire de votre route, où cependant, ajouta-t-il avec quelque amertume, je ne vous gênais guère. Soyez donc heureux, et parlez de moi quelquefois le soir, quand votre tendresse vous en laissera le temps.

— Au nom du ciel, ne nous quitte pas! s’écria Sylverine.