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— J’aime Sylverine et je suis son amant, il faut que tu le saches, lui cria-t-il.

— Je le savais, répondit Flavio.

Le coup fut dur pour Jean, qui sentit s’amollir sa colère ; mais, comme l’on dit, il s’était monté d’avance : il reprit vite en lui-même tous les mauvais argumens qui l’avaient soutenu, et, combattant l’émotion qui le gagnait en présence du calme de Flavio, il reprit :

— Si tu le sais, pourquoi le supportes-tu?

— Parce que tu es mon enfant, répliqua Flavio avec un sourire qui mit des larmes dans ses yeux, parce que je suis le seul juge de mes renoncemens, et peut-être aussi parce qu’il m’est plus doux de souffrir que de te savoir malheureux.

Jean n’y tint plus; il se jeta d’un bond sur la poitrine de Flavio, et le serrant dans ses bras : — Ah! s’écria-t-il, tu es bien notre cher Mastarna, tu es bien celui que nous appelons cœur de diamant le plus grand de nous tous!... Accable-moi, bats-moi, chasse-moi; mais, par pitié, ne m’écrase pas de ta bonté, qui me fait prendre en horreur à moi-même ! Tu restes là, tu ne me dis rien ! Tu savais tout, et tu ne m’as pas tué comme un chien sauvage! Ce n’est pas ma faute! c’est plus fort que moi. Je l’adore, je meurs de jalousie, et je me désespère à l’idée seule qu’elle peut t’aimer! J’ai de moi une honte sans pareille; mais que veux-tu? je suis ensorcelé, je suis possédé, je ne puis me ravoir, et je me trouve misérable. Je n’ai eu ni force, ni vertu; je t’ai trompé comme on trompe un vieux tuteur ridicule, et cependant, si je vaux quelque chose, c’est à toi que je le dois. C’est toi qui m’as recueilli, c’est toi qui m’as élevé; ce que je sais, tu me l’as appris; si je ne suis pas tombé dans le gouffre des débauches où m’entraînait ma nature, c’est parce que ta main m’a toujours soutenu. Au lieu de rester là tranquille et indulgent, pourquoi ne me fais-tu pas de reproches?

— Tu te les fais toi-même, ces reproches que tu me demandes, répondit Flavio, je n’ai rien à te dire.

Jean eut un spasme; il serrait son cœur à deux mains. — Que faire? que faire? cria-t-il.

— Mais que veux-tu donc, terrible enfant? reprit Flavio. Ne peux-tu donc pas jouir en paix de ton bonheur, sans venir en désespérer les autres ?

— Tu ne l’aimes plus au moins? cria Jean.

— Pourquoi mentirais-je? répondit Flavio. Je l’aime encore comme aux premiers jours, et plus que jamais.

— Ah! tu me déchires le cœur! dit Jean, qui se laissa tomber sur une chaise en cachant sa tête dans ses mains.

Flavio l’entendait sangloter; il le prit dans ses bras, le caressa