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— Fais ce que tu voudras, mon pauvre Jean, je suis prèle à tout. Le cœur de Flavio est plus grand que le tien.

Jean retombait dans ses indécisions. Il aimait son ami, il adorait sa maîtresse et parfois les exécrait tous les deux. La violence de sa nature se révélait tout entière dans ces luttes où il était toujours vaincu sans jamais parvenir à se vaincre lui-même. Il souffrait, et, comme disent les bonnes gens, il dépérissait à vue d’œil. Flavio s’en inquiéta et l’interrogea. Jean fut sur le point de se jeter à son cou et de lui avouer cette lamentable histoire; mais une honte de mauvais aloi retint la confidence sur ses lèvres : il prétexta un malaise nerveux et se tut.

A l’extérieur du moins, rien n’était changé dans leur existence; ils vivaient réunis comme autrefois; ils passaient leurs soirées ensemble chez Sylverine. Vers minuit, Jean et Flavio lui disaient adieu et rentraient dans leur maison; là, Jean, avec les battemens de cœur que l’on peut concevoir, écoutait Flavio se coucher. Comment se passait le reste de la nuit? L’écho de la forêt de Ravenne ne m’en a jamais rien dit; mais parfois au matin Jean avait les yeux rouges, la face injectée, le regard sombre d’un homme qui ne contient sa fureur qu’avec peine. Quant à Flavio, tranquille, rêveur et réfléchi, il traversait ce drame et s’y mêlait à son insu sans même le soupçonner. Comment aurait-il pu le deviner? Sa confiance n’était-elle point absolue?

Sylverine, qui aimait les émotions, avait été servie à souhait; de guerre lasse pourtant, elle était prête bien souvent à tout abandonner. La violence et les reproches incessans dont Jean l’accablait la fatiguaient outre mesure; Flavio, dans son affection de forme paternelle, n’avait jamais eu pour elle que douceur, indulgence et bonté. Elle aimait la tempête, il est vrai, mais à la condition d’y trouver quelques embellies, et avec Jean, qui dans le secret débordait d’autant plus avec elle qu’il s’était plus comprimé en public, elle n’en avait guère. Parfois, jouant sur ce nom de Scoglio, qui signifie écueil, elle lui disait : — Ah ! tu es le bien nommé; qui ne se briserait contre toi? — Elle fermait les yeux et se laissait emporter au courant, n’ayant pas le courage de le remonter. Parfois elle se demandait : Comment tout cela finira-t-il? puis elle tombait dans des tristesses sans fond d’où la réconfortante tendresse de Flavio parvenait seule à la tirer. Elle aimait Jean, elle aimait Flavio, elle les aimait tous les deux; lequel aimait-elle le mieux? Elle ne pouvait le dire : bien souvent elle s’était interrogée sans parvenir à se répondre. — Mais enfin, si tous deux étaient en péril de mort, si tous deux se noyaient sous mes yeux, quel est celui que je sauverais? — Elle réfléchissait longtemps sur la question qu’elle s’adres-