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au-devant d’eux. Ils étaient jeunes, attrayans, et n’avaient aucune base bien solide pour étayer leur résistance. Avec plus de vaillance extérieure que Flavio, Jean offrait à Sylverine l’attraction étrange des dangers qui le menaçaient. Pour combien de femmes le don d’elles-mêmes n’est-il pas une compensation aux rigueurs de la destinée! Cela seul explique l’indulgence de la femme, et j’entends de la meilleure, pour le soldat. — Il sera peut-être tué demain, dit-elle, et elle s’oublie.

Bien souvent le soir Sylverine, regardant alternativement Jean et Flavio, comparant leur beauté si diverse, s’était dit avec un serrement de cœur inexprimable : — Quoi! ces deux pauvres chères têtes tomberont peut-être sur un obscur échafaud ! Elle eût voulu alors les envelopper tous les deux en elle, les cacher à tous les yeux, ou les accompagner dans leur haute entreprise, en partager les périls et mourir dans leurs bras. Jean avait-il donc déjà pris une telle place dans son cœur? Peut-être; en tout cas, elle lut la plus clair- voyante, et la première elle sentit que la situation devenait dangereuse.

Elle était accoutumée à se traiter très vertement lorsque, dans le calme de ses réflexions, elle se confessait à elle-même; elle n’eut donc aucun lâche atermoiement vis-à-vis d’elle. — Tu te laisses ensorceler par ce diable de Jean, se dit-elle; veux-tu donc tromper Flavio? — Ce n’est pas qu’elle trouvât cela fort mal, je l’ai dit; la vertu abstraite n’avait pas grande prise sur cette âme, mais elle craignait d’affliger un homme qu’elle aimait beaucoup, qui avait pour elle une extrême affection, qui, depuis si longtemps, la traitait avec une bonté sans pareille. Dans d’autres circonstances, elle n’eût point hésité, elle eût tendu sa main à Jean en lui disant : — Je vous aime; mais, arrêtée par la pensée du bon Flavio, elle n’osa pas avancer sur la voie où la poussait la tendre curiosité qui l’entraînait vers le nouveau-venu. — Nous pourrons peut-être nous sauver, se disait-elle sans grande conviction, car elle ne comptait guère sur elle pour accomplir un tel miracle.

De son côté, Jean non plus ne se sentait point tranquille. Le fruit qui pend à l’arbre défendu offre un attrait sans égal à certaines natures; les révoltés finissent toujours par être les maîtres du monde. Jean, résolu, fier et persistant, avait vite compté les obstacles qui le séparaient de Sylverine; mais ces obstacles n’avaient fait que l’irriter au lieu de l’attiédir. Des remords s’agitaient bien dans son cœur quand il pensait à son ami; mais il les secouait, il se rassurait par de mauvais argumens et se disait en voyant l’attitude sereine de Flavio auprès de Sylverine : — Bah ! ce n’est pas de l’amour, ce n’est plus que de l’habitude ! — Puis il se disait encore : — On n’a