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lien et de conspirateur, d’étonner les gens par son flux de paroles, par ses mouvemens précipités, par une apparence de franchise bruyante qui trompait les mieux avisés, et néanmoins de suivre imperturbablement le fil de sa pensée secrète et d’observer avec une perspicacité merveilleuse tout ce qui se passait autour de lui. Il avait mis souvent cette science au service de ses passions particulières, car il subissait la tyrannie d’une fougue pleine d’impétuosité. — J’ai des tempêtes en moi, disait-il souvent. Il était, par un contraste qui n’est pas rare, à la fois violent et dissimulé; seulement sa violence servait à sa dissimulation; il déroutait le soupçon à force d’abandon factice, de vivacité, de gaminerie, comme Flavio le déroutait à force de réserve et de dignité. Tout en causant d’abondance avec Flavio, il avait donc remarqué Sylverine; dans les lignes pures de son beau visage, dans le regard voilé de ses grands yeux d’un bleu si profond qu’ils en paraissaient noirs, dans le rire éclatant qui montrait ses dents blanches, il crut voir quelque chose d’ennuyé et en même temps de révolté qui indiquait une faiblesse native ou une sourde lassitude, et il ne s’était point fait faute de se dire en regardant Flavio : — Je parierais ma casquette contre un chapeau de cardinal qu’avec ses façons d’amoureux dogmatique et sentencieux, il l’ennuie à la faire pleurer. En cela, il se trompait : Sylverine souffrait, mais c’était de ne point assez aimer; elle eût voulu aimer, aimer encore plus, aimer au-delà du possible.

Quant à Flavio, il ne lui manquait rien; il vivait en plénitude de bonheur entre les deux êtres qu’il aimait le plus au monde; il les écoutait avec joie causer ensemble, riait de leurs folies et parfois s’attendrissait en les voyant marcher auprès de lui; il les regardait un peu comme ses enfans, et souvent s’était dit avec inquiétude avant l’arrivée de Jean : — Pourvu qu’ils se conviennent! — Il pouvait être rassuré à cette heure : ils se convenaient.

En effet ils ne se quittaient guère; pendant le jour, ils allaient se promener sous les ombrages de la Pineta; ils passaient leurs soirées en tiers avec Flavio, qui, bien souvent emporté par sa propre pensée, leur laissait le bénéfice d’une sorte de tête-à-tête. Ils n’en abusaient certainement pas, mais leur causerie devenait plus intime et glissait vite sur la pente des confidences, pente dangereuse, pleine d’attraits, et que parfois il est bien difficile de remonter aussi intact qu’on l’a descendue. Ni Jean ni Sylverine ne conçurent froidement la pensée de tromper Flavio; mais cette idée naquit d’elle-même, par le fait de leur rencontre, de leur réunion, de leur jeunesse, de ces mille circonstances contre lesquelles peuvent seuls lutter les êtres froids, dédaigneux ou invinciblement armés de vertu. Ils n’allèrent point vers la faute, si j’ose dire ainsi, ce fut la faute qui vint