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commis de chancellerie. On y sent la forte personnalité du ministre d’un pays libre, d’un homme pour qui le pouvoir n’a point été un médiocre usufruit, en un mot d’un homme d’état responsable. Lord Russell a, rappelé très heureusement les projets confiés par Alexandre Ier à lord Castlereagh, et que celui-ci a résumés ainsi : « retenir le duché de Varsovie, à l’exception de la petite partie à l’ouest de Kalisch, que le tsar se proposait de donner à la Prusse, en l’érigeant, avec les provinces polonaises autrefois démembrées, en un royaume, sous la domination de la Russie, avec une administration nationale conforme aux sentimens du pays. » Ce rappel des provinces polonaises autrefois démembrées, et qu’Alexandre Ier, les reconnaissant polonaises, avait eu un instant la pensée de réunir au royaume, a une grande importance à cette heure où les Russes contestent avec tant d’audace et de cruauté la nationalité de ces provinces, et ont confié à Mouravief la mission de les dénationaliser par les supplices, par le feu, par la confiscation. Étrange prétention de la Russie, qui voudrait croire que l’opinion européenne a oublié le premier partage de la Pologne, ce partage, ourdi par Frédéric et Catherine, qui faisait verser des larmes de remords à Marie-Thérèse, contre lequel protestèrent dans le monde toutes les consciences honnêtes, et dans lequel la Russie obtint les provinces dont elle nie aujourd’hui la nationalité au mépris de l’histoire, des traités et du sang polonais qu’elle y verse ! Nous félicitons M. Drouyn de Lhuys de n’avoir pas laissé échapper l’occasion de prononcer, comme lord John Russell, le nom de ces malheureuses provinces polonaises, où la protestation de la guerre civile est plus énergique peut-être que dans le royaume, et où les répressions russes ont pris un caractère de sauvage fureur qui est une honte pour la civilisation moderne. Nous voulons regarder comme une protestation implicite contre les prétentions russes la politesse ironique de cette phrase de la dépêche de M. Drouyn de Lhuys : « c’est assurément le vœu de la cour de Russie de voir cesser des hostilités qui portent la désolation et le deuil dans les anciennes provinces comme dans le royaume. »

Après avoir déclaré que l’administration projetée par Alexandre Ier et la confiance qu’Alexandre II demande pour le succès de ses mesures n’existent point en Pologne, lord Russell signale une autre lacune dans l’état politique de ce pays. L’ordre et la stabilité, dit-il, ont pour condition la suprématie de la loi sur l’arbitraire. « Partout, continue-t-il avec une vérité si imposante qu’elle donne à la simplicité de ses paroles un accent de grandeur, partout où cette suprématie existe, le sujet ou le citoyen peut jouir de sa propriété ou exercer son industrie en paix, et la sécurité qu’il éprouve comme individu doit être ressentie à son tour par le gouvernement sous lequel il vit. » Par une telle déclaration, le ministre anglais fait justice de la déclamation à laquelle le prince Gortchakof s’était livré contre les menées de la révolution cosmopolite en Pologne, déclamation qui révolte les esprits sincères, quand ils se souviennent que l’hypocrite Catherine osait déjà s’en faire une arme, au moment du troisième partage, contre la Polo-