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mentaires de la justice et de l’équité, et n’ont rien que de conforme aux stipulations des traités qui tient le gouvernement russe à l’égard de la Pologne. » La rédaction de M. de Rechberg est à peu près identique ; la première phrase est la même, le reste n’est qu’une variante : « d’autres dispositions contiennent des avantages que le cabinet de Saint-Pétersbourg a promis ou laissé espérer ; aucune enfin ne dépasse la mesure de ce qu’ont stipulé les traités en faveur des Polonais. » Mais il y a dans ce procédé quelque chose de plus qu’une habile politesse ; on y remarquera une fermeté contenue. On semble écarter l’hypothèse du refus de la Russie. Si la Russie accueille les six points, il n’y a plus à mettre à l’épreuve que sa sincérité, et en tout cas on place ce programme sous l’invocation des principes de la justice et des obligations des traités. Plus les puissances emploient de ménagemens envers la Russie, plus elles s’imposent la loi de ne point se laisser jouer.

Il y a dans la forme de cette solennelle démarche diplomatique un autre caractère à considérer. L’action commune est manifestement engagée. Les trois puissances sont unies par la même obligation dans la question polonaise ; elles ont lié partie. Leur responsabilité, leurs intérêts, leur honneur, sont compromis au même degré. Le fait seul de l’identité du programme établirait suffisamment cette solidarité. Lord Russell, en vieux solitaire qu’il est, et comme sortant à regret de l’isolement, n’a point pris la peine d’indiquer spécialement le concert des trois puissances dans sa remarquable dépêche : la répétition des six points lui a suffi. Ce détail dédaigné par l’Anglais morose a été au contraire relevé par le circonspect Autrichien, qui semble avoir cherché dans l’accord des trois puissances comme un abri et une excuse. Quant au ministre français, pour qui ce concert est un succès, tant il s’est donné de mal à le produire, il le fait sonner haut : « Le moment était donc venu pour le gouvernement de l’empereur et pour les cabinets de Londres et de Vienne d’échanger leurs idées sur la voie à suivre afin d’atteindre le but de leurs communs efforts, et, animés de l’esprit de conciliation qui a présidé à leurs premières démarches, ils sont convenus de présenter au gouvernement russe, comme base des négociations, les six points suivans. » Le pénible accouchement est terminé, et la France peut moins qu’une autre n’en laisser sortir qu’un avorton ridicule.

De ces documens diplomatiques, celui qui sur le fond des choses présente les considérations les plus élevées est sans contredit la dépêche du comte Russell. Il y a une sorte d’émulation entre le prince Gortchakof et le comte Russell en matière de littérature diplomatique. Le prince Gortchakof, qui se pique de bien dire et souvent y réussit, a plusieurs fois agacé le hautain et laconique secrétaire d’état de sa majesté britannique. On n’a pas oublié qu’au mois de mai ce fut à lord Russell que le prince Gortchakof adressa la plus étudiée et la mieux tournée de ses dépêches. Lord Russell a dignement répondu au défi. Il y a autre chose dans sa réponse que les arides circonlocutions et les ambages vides de pensée des