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assister à la dislocation définitive de la grande république américaine, et l’Europe aidera-t-elle à cette œuvre de destruction par une reconnaissance prématurée de la confédération fondée sur l’esclavage ? Mexico s’est rendu à la France, et c’est une grande joie ; mais que ferons-nous de notre conquête ? C’est une grande perplexité. On se bat en Chine, et l’on va peut-être se battre au Japon, au grand dommage des intérêts financiers et commerciaux des nations maritimes de l’Europe. Continuant à Madagascar le rêve de Beniowski, nous avions conclu un traité avec le roi Radama ; mais une révolution malgache vient détruire ce roi et mettre notre traité en question, le Daghestan s’insurge. Le lendemain du jour où un roi s’est enfin offert à la Grèce, les Grecs se gourment entre eux de plus belle. Nous ne disons rien des questions engagées, et qui pour le moment se dérobent dans un sommeil passager : nous ne disons rien de ce sentiment de jour en jour plus répandu et plus vif de la fragilité des combinaisons les plus importantes sur lesquelles repose l’état présent de l’Europe.

Dans ces questions diverses et de portée différente qui s’imposent quelquefois avec incohérence à notre examen, on doit cependant chercher une sorte d’unité relative. Cette unité, nous là trouvons dans la hiérarchie des intérêts, si l’on peut s’exprimer ainsi, que ces questions viennent toucher dans notre pays. Pour ce qui concerne la politique intérieure, l’intérêt supérieur qui nous guide se révélé par sa simplicité et son évidence ; c’est l’intérêt qui est en souffrance chez nous depuis trop longtemps, l’intérêt de la liberté. Dans la politique étrangère, là question qui a pour nous l’intérêt prépondérant est toujours celle qui affecte de plus près les principes de la révolution française, l’honneur de la France et la sécurité générale de l’Europe. Tels sont assurément les caractères avec lesquels la question polonaise se présente à nous aujourd’hui.

La simultanéité de la publication des dépêches adressées par la France, l’Angleterre et l’Autriche à la cour de Pétersbourg, l’identité des six conditions proposées par chacune de ces puissances à la Russie pour le règlement des affaires de Pologne, indiquent suffisamment la portée européenne de la question polonaise. Toute la question est-elle concentrée dans les six points, et dépend-elle de l’accueil que recevront à Pétersbourg ces élémens de négociation ? Nous sommes loin de le croire : la situation actuelle de la Pologne montre assez que la pacification de ce pays et que les garanties que l’Europe cherche dans le maintien de la nationalité polonaise ne sauraient être obtenues qu’à d’autres conditions ; mais nous assistons ici à un des plus curieux contrastes qui puissent exister entre la conduite diplomatique d’une affaire et la marche même des faits qui motivent l’intervention de la diplomatie. Il arrive quelquefois que l’action diplomatique, soumise à des procédés logiques et réguliers, est en avance ou en retard sur les événemens. Jamais le désaccord de l’action diplomatique avec les faits n’a été plus sensible que dans la circonstance actuelle. La volonté de la Pologne et sa persévérance désespérée vont bien au-delà du régime con-