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pondirent des œufs de diamant; ceux-ci se changèrent successivement en émeraude, en or, en argent, en cuivre, puis toutes les poules se mirent à pondre un œuf en pierre, et de petits démons noirâtres tuèrent les poules et jetèrent ces cailloux sur son corps, qui fut enseveli sous cette pluie comme dans un tombeau.

Au crépuscule, Nicolaos se leva, le front baigné de sueur, l’esprit tourmenté de ces visions nocturnes : mille idées superstitieuses s’agitèrent dans son cerveau ; mais le soleil dissipa un peu ses terreurs. Sa femme, en l’écoutant, se signa dévotement et lui dit : — Va brûler aujourd’hui un cierge à Saint-David, ou malheur t’adviendra.

— J’irai, femme, mais ce n’est rien. Au contraire, dans un an le petit domaine de Mikaël sera à moi.

— Es-tu fou? Tu n’es pas assez riche pour l’acheter.

— Retiens ta langue : je sais ce que je dis.

— Oui, oui, murmura la vieille femme, tu rêves diamans, tu n’auras que des pierres. Hier, pendant que tu étais à la fête, les tsiganes ont passé devant notre demeure, et la reine de la troupe, en me regardant, m’a jeté un sort et m’a dit : « Ton jardin est vert et fleuri; mais l’automne prochain des pierres pousseront sur tes arbres, comme des fruits de l’enfer. » Va, te dis-je, brûler un cierge à Saint-David.

Nicolaos, effrayé de cette prédiction, ne répondit pas à sa femme, lui tourna le dos et se dirigea vers la cabane de Mikaël, qui dormait encore.

— Holà! hé! Mikaël, le soleil a fait du chemin; debout!

— Ah! c’est toi? répondit l’autre en ouvrant sa porte. Que me veux-tu si matin?

— As-tu oublié notre pari d’hier?

— Non, dit Mikaël en se frottant les yeux.

Ils entrèrent tous deux dans la cabane. Là, en présence de son adversaire, Nicolaos dévora une douzaine d’œufs durs, puis, sous l’obsession du songe de la nuit, il suivit le conseil de sa femme, courut à la ville, escalada l’étroit sentier qui mène à l’église de Saint-David, et qui par ses aspérités ressemble au chemin du ciel. Devant les saintes images, il alluma des cierges, même devant l’image du diable, car il n’est pas d’église de Géorgie qui ne contienne une représentation peinte de l’enfer. Demandez à un Géorgien pourquoi il s’agenouille et prie devant le diable, il vous répondra : « On ne sait pas de qui l’on peut avoir besoin. » Nicolaos, après avoir collé ses lèvres sur toutes les reliques, baisa le seuil de pierre de l’église et sortit le cœur léger, comme s’il se fût assuré de la protection divine.