Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/458

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et les coupoles byzantines des églises blanches, vertes ou dorées. Au coucher du soleil, à l’heure où les montagnes s’enveloppent d’une brume d’un bleu violet, les gens de la fête se séparent. On attelle les buffles, on selle les chevaux, on charge les chameaux. Au bruit des fifres et des tambourins, la foule venue de la ville regagne ses cabanes de bois pour continuer ses libations à Irais clos; les paysans se dispersent dans la campagne. Le soir, Tiflis offre un curieux spectacle à tous les doukans (cabarets), éclairés par une chandelle ou une torche de résine, retentissent de nouveau de chansons et de cris. Sur les terrasses, les jeunes filles dansent avec frénésie, encouragées par les applaudissemens des hommes. Vers minuit, les lumières s’éteignent, chaque porte se ferme tour à tour, et le majestueux silence des nuits d’Orient règne au loin sur la plaine.

Arrivé depuis quelques mois à Tiflis, j’avais assisté à la fête de la Montagne-Rouge avec une curiosité bien naturelle. Je m’étonnais du mélange de douceur et de sauvagerie que cette fête m’avait révélé, et j’étais encore sous l’impression que de pareilles scènes laissent inévitablement dans l’esprit d’un Européen, lorsque je fus invité à une noce arménienne, qui devait m’offrir l’occasion d’observer les mœurs du pays sous un nouvel aspect. Les Asiatiques ne cherchent qu’un prétexte pour se mettre en liesse, et tout mariage arménien est célébré avec une grande pompe dans les familles riches» presque avec luxe chez les pauvres gens. Vers sept heures du soir, j’entrai dans les salons d’un Arménien notable de Tiflis, nommé Pitzourhan, qui mariait sa fille Tamara. Partout flamboyaient les bougies parfumées et les lustres chargés de dorures. La plupart des hommes portaient le costume pittoresque du pays; les femmes, parées de leurs belles toilettes aux vives couleurs, étincelaient de pierreries et de diamans. La danse commença. La fiancée (les hommes en Asie ne dansent pas) s’avança au milieu du cercle des nombreux spectateurs, glissa mollement sur la mousse fine des tapis de Perse, baissant et levant les yeux tour à tour avec une délicate coquetterie; puis, au son d’une musique joyeuse, elle s’élança, tourbillonna, plus légère qu’une gazelle : on eût dit qu’elle voulait fuir et défier par sa fuite cadencée les attaques d’un amant invisible, et de temps en temps elle regardait à la dérobée son futur époux. Le rhythme se ralentissait, tendre comme une caresse, et soudain se précipitait avec une fougue nouvelle. Les tresses brunes de la danseuse se balançaient autour de sa robe de soie; son long voilé de dentelle flottait derrière ses épaules, et ses mains, pareilles à deux oiseaux blancs, voltigeaient voluptueusement au-dessus de sa tête, couronnée d’un diadème de satin. La joie rayonnait sur tous les visages, et les hommes applaudissaient bruyamment. La danse cessa. La