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sont les tubes solides encore, mais plus ou moins fatigués, qui n’ont pas besoin de durer plus que la machine où ils entrent.

Nous venons de parler des roues et des tubes ; Si une surveillance si active s’exerce sûr les pièces de détail, que sera-ce pour cet ensemble redoutable qu’on nomme une locomotive ! La complication de cette machine effraya si bien les premiers entrepreneurs de chemins de fer qu’ils firent longtemps la traction des trains de voyageurs avec des chevaux. Il y a peu de Lyonnais âgés de trente ans qui ne se rappellent comme un curieux souvenir d’enfance les deux berlines du chemin de fer de Saint-Étienne avec leurs trois chevaux landes au galop. On connaissait cependant les locomotives, et c’est même sur cette première ligne française qu’on vit apparaître la chaudière tubulaire, que venait d’inventer l’ingénieur Séguin ; mais on n’appliquait la locomotive qu’aux trains de marchandises. Comment eût-on alors accueilli l’illustre Crampton et sa machine parcourant 80 kilomètres à l’heure ?

Il est ensuite une pratique trop rarement appliquée en industrie, et à laquelle les ingénieurs de chemin de fer attachent essentiellement les garanties de sécurité et d’entretien économique. Nous avons dit que les organes d’une machine sont toujours construits en vue d’un travail supérieur à l’effort normal ; de même on ne fait produire à l’ensemble qu’une fraction de la puissance dont il est doué. Une locomotive est une machine à vapeur de 200 à 600 chevaux ; les deux tiers au plus de la force sont développés dans la remorqué ordinaire d’un train. Il y a deux raisons pour ne pas dépasser cette limite : la première est que pour prolonger l’existence d’un moteur il faut en ménager les forces, la seconde qu’une machine doit toujours avoir en réserve la puissance voulue pour parer aux éventualités, aux pertes de temps, aux surcharges de trains, aux vices de viabilité, en un mot à tous les accidens qui causent des retards, toujours graves dans un service où les trains se suivent parfois à cinq minutes d’intervalle.

Trop souvent dans l’industrie, contrairement à cette sage coutume des chemins de fer, on emploie sans réserve la puissance maxima des moteurs ; c’est une grande faute dont peut souffrir l’intérêt public. La machine trop faible est forcée pour fournir aux besoins imprévus ; raisonnant comme l’avare, on s’est dit que là où il y avait pour 8 chevaux, il y en aurait bien pour 10. Nous avons même vu à l’œuvre une machine de 35 chevaux à qui on en faisait produire 57. Il s’ensuit une incommodité actuelle et un danger à venir. L’incommodité est dans les torrens de fumée que vomit le fourneau trop petit pour la masse de combustible engouffrée. Le danger à venir des machines forcées est celui des ruptures. Or rompre, pour une machine à vapeur, c’est faire explosion, c’est projeter à grande distance