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s’agit, je ne m’en informe pas ; mais M. Veuillot chercherait probablement longtemps avant de trouver un lettré, — un de ces obscurs lettrés tant maltraités, — qui voulût mettre son nom sous cette polissonnerie. Et voilà, ce me semble, qui est singulièrement servir le catholicisme dans les loisirs qu’on s’est faits !

La vérité est que, dans cette carrière de vingt ans où il s’est escrimé déjà de tant de façons, M. Veuillot se sert du catholicisme comme d’un drapeau sous les plis duquel il mène au combat ses passions et ses entraînemens, ses haines d’esprit et ses ardeurs de tempérament. Il était né sans doute avec d’évidentes facultés d’écrivain polémiste. Avec des inégalités de talent, un goût mal réglé et confus, et des fatalités de nature, il avait du moins la résolution et la vigueur, la fécondité de verve, l’originalité du trait. Il pouvait certes servir la religion selon ses convictions, répondre par l’ironie à l’ironie, faire la guerre aux impiétés banales, aux sophismes retentissans, aux préjugés d’irréligion, aux vanités maladives ; il pouvait défendre le pape, l’église, ses croyances, ses idées, ses traditions. En s’inspirant un peu moins de ses propres passions, un peu plus de la religion qu’il prétendait servir, il se fût créé une notoriété moins équivoque, qui n’eût point été un embarras pour le catholicisme, en étant pour lui-même un fardeau qu’il porte avec plus d’orgueil que de vraie fierté. Il a mieux aimé se précipiter dans la voie des polémiques forcenées, distribuer l’outrage, envenimer les luttes de l’esprit, compromettre doublement le catholicisme, en le servant par de telles armes, en lui imposant autant qu’il l’a pu la solidarité de toutes les idées d’absolutisme. Écrivain, il a bafoué les lettres ; homme de la presse, il a battu des mains aux rigueurs salutaires, et il a quelquefois appelé les sévérités. La loi de la suppression et du silence, il l’eût trouvée bonne ; si on l’eût appliquée à d’autres, et à son tour il a vu cette loi se tourner contre lui. Il a senti ce qu’il y a de dur à se taire, quand on croit avoir des idées, Une cause à défendre, et son talent n’y a pas grandi, puisqu’il fait aujourd’hui les Satires. Ramenez-nous du moins à la prose de M. Veuillot. Rendez-lui, rendez-lui son journal. La liberté ne souffrira pas parce que la parole quotidienne sera rendue à un de ses ennemis ; elle en triomphera au contraire. Le talent de l’auteur de Vindex gagnera lui-même en retrouvant son vrai cadré. Pour nous, nous n’y perdrons rien : sous une forme ou sous l’autre, nous sommes bien sûrs, tous plus ou moins, d’avoir notre compte, mais ce ne sera peut-être plus en vers, et M. Veuillot ne fera pas de satires !

Ch. de Mazade.