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violente. Je ne veux marquer que les traits principaux. Qu’on n’oublie pas d’abord l’origine toute populaire de M. Veuillot. Il n’est pas entré dans le monde, lui, par la porte dorée. Son père était un tonnelier ou un marchand de vin. Sa première éducation s’est faite dans la banlieue de Paris, à l’école mutuelle, et la seconde éducation, il l’a trouvée, comme petit clerc, dans une étude d’avoué, il en résulte que M. Veuillot s’est développé seul, au hasard, sans maître, ou du moins n’ayant d’autre maître que ce milieu populaire et dénué qui a été le sien. Ce que cette existence première a laissé en lui d’impressions, il le dit lui-même dans une sorte d’autobiographie avec l’accent amer et inquiétant du déshérité qui regarde au-delà de sa condition et en qui se débat le terrible problème. Ce qu’il voyait, a-t-il dit, c’était « une société sans entrailles pour le pauvre peuple et sans intelligence pour tout ce qui s’élève au-dessus des plus grossiers intérêts d’une abjecte vie… — Je ne découvrais que d’injustes oppressions, que des distances iniques et injurieuses, qu’un hasard de naissance heureux pour d’autres, insupportable pour moi… Voilà le peuple tel qu’on le fait !… » L’enfant avait des dispositions.

Puis, l’occasion de percer survenant avec la révolution de 1830, il prend une plume avant de savoir ce que c’est qu’écrire ; le voilà enrôlé dans le bataillon des journalistes de préfecture que le nouveau gouvernement expédie en province. Pendant quelques années, il va de Périgueux à Rouen ou de Rouen à Périgueux. Il respire l’air du siècle, il se forme à la littérature, il lit et s’excite à la lutte. Comment il considérait du reste cette vie nouvelle, il le dit encore : « Sans aucune préparation, je devins journaliste ; je me trouvai de la résistance, j’aurais été tout aussi volontiers du mouvement et même plus volontiers… — J’avais eu la foi de mes besoins, j’eus aisément celle de mes intérêts… — Que j’aie appris à écrire dans mon jeune âge au lieu d’apprendre, comme un enfant de l’Orénoque, à scalper un ennemi vaincu, je n’en fais nulle différence ; seulement, dans mes mains, le couteau, c’était l’art d’écrire… » La première éducation de M. Veuillot s’était faite à l’école mutuelle et dans une étude d’avoué ; son éducation littéraire se fait dans cette escrime des journaux provinciaux. Ce n’est qu’après une assez longue période de cette vie dispersée, pendant un voyage à Rome, et lorsqu’il a déjà vingt-cinq ans, que M. Veuillot est foudroyé par la lumière dans une cellule d’un père de la maison du Gesu. Sa conversion extérieure ne laisse pas d’être incomplète encore, il est vrai. « Un tel changement, dit le nouveau catéchumène, semblait trop exiger l’abandon de cette profession d’écrivain de laquelle seule je croyais pouvoir tirer mon existence, et que je ne sentais pas compatible avec la foi chrétienne de la façon dont je l’avais exercée ; »