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à l’ombre d’un laurier, il entendit un serpent siffler à son oreille, et, réveillé de son rêve, son cœur fut pris d’une inquiétude qui ne le quitta plus.


VII

— Je réfléchis un moment, continua le baron Théodore ; puis je dis à l’aimable prélat : — Utopie tant qu’il vous plaira ; mais après tout ce qu’il demandait me semble assez raisonnable.

Il me répondit : — Ah ! sans doute il est raisonnable d’aimer les oranges, mais en vouloir cueillir sur un poirier…

— Cependant, repris-je, Racine et Boileau furent les pensionnaires et les hôtes du grand roi, sans être obligés à rien qu’à faire de beaux vers.

— Autre temps, autres mœurs, me dit-il. Vous pourriez me citer aussi Laurent de Médicis. Sa méthode était particulière : tous ceux qu’il aimait, philosophes ou poètes burlesques, les Politien, les Ficin, les Pulci, il les faisait chanoines et souffrait qu’ils mangeassent en paix leurs prébendes. C’est que Laurent était un grand homme qui faisait lui-même toutes ses affaires ; mais dans toutes les petites cours du XVIe siècle il était de règle que les gens de lettres partageassent leur temps entre leur plume et le service du prince. Ces ducs, ces marquis, qui tranchaient du potentat et déployaient une magnificence royale, n’avaient pas des ressources infinies ; se ruinant en fêtes, ils se rattrapaient en ordonnant des retenues sur les traitemens. Comment leur demander de nourrir des bouches inutiles ? Dans leur palais point de bénéfices sans charges ; le j)lus souvent ils conféraient aux savans des emplois dans le gouvernement, les engageant à se payer par leurs mains ; cela leur était plus commode que de servir des pensions. Songez aussi que dans un temps où les lettres étaient en si grand honneur, où l’on était si amoureux du bien dire, il y avait avantage à confier aux écrivains les missions diplomatiques. Les ambassadeurs portaient alors le titre d’orateurs, et plus d’une négociation dut son succès à une harangue en beau style débitée par un érudit ou un poète qui s’entendait à cadencer ses périodes. En cela, votre François Ier imita nos princes : il députa Budée à Léon X, Alamanni à Charles-Quint. Bref, Boïardo, Bernardo Tasso, Pandolfo Collenuccio, Rucellaï, le Trissin, Bibbiena, Guarini, Giovanni della Casa, Annibal Caro, Claudio Tolomei et vingt autres qu’on pourrait citer, ont tous été ou chambellans, ou secrétaires d’état, ou gouverneurs de provinces, ou diplomates. Et que dirons-nous de l’Arioste ? Pendant les quinze ans qu’il passa au service du cardinal Hippolyte d’Este, il eut toujours le pied à