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blanches : « O vous qui savez, s’écrient-ils, guérissez-nous de nos ignorances ; car il ne nous suffit pas d’être de beaux cavaliers et d’habiles jouteurs, nous voulons apprendre à penser, à raisonner, et avoir part à cette sagesse qui donne à l’âme une immortelle beauté… »

Ces jeunes gens, c’est la Grèce, ressuscitée, et Raphaël les a volés à votre cher Platon. Et à son tour le Tasse vola Raphaël quand il peignit dans un de ses dialogues ce jeune Pignatella (gentile cavaliero) qui se destine au métier des armes, et ne rêve déjà que batailles et assauts ; mais avant toutes choses il veut posséder la théorie de la vertu, afin de pouvoir raisonner ses actions et de ne plus vivre en aveugle : « Maître, dit-il au philosophe Porzio, quand j’étais à l’école, mille questions se pressaient sur ma langue ; mais la honte me retenait, craignant de manquer à cette modestie qui convient aux apprentis dans l’étude de la sagesse. À cette heure, dans ce charmant jardin, je me sens rassuré par ce doux silence qu’interrompent seulement le murmure des eaux et des feuillages et le chant des oiseaux. Je vous prie donc de me montrer le chemin que je dois suivre pour atteindre à la perfection des vertus chevaleresques. »

Laissez-la grandir cette aimable jeunesse, et un jour elle réalisera dans ses mœurs et dans sa vie l’idéal de l’homme de cour accompli, tel que l’ami de Raphaël, Balthazar Castiglione, l’a tracé dans son Cortegiano. C’est dans ce beau livre qu’il faut apprendre ce que valaient les cours de la renaissance. Quel programme ! Homme d’armes sans peur et sans reproche, et faisant tout ce qu’il veut de son corps assoupli par l’exercice et endurci par les fatigues, le cortegiano porte dans tous ses mouvemens, dans toutes ses attitudes cette aisance, cette grâce abandonnée, cet air de n’y penser pas que la renaissance exprimait par un mot intraduisible, la sprezzatura. Également habile à nager, à danser, à sauter, à combattre à la barrière, à rompre une lance, ce chevalier est aussi un clerc, un lettré ; il a fait ses humanités, il a lu Virgile et Sophocle, il est versé dans l’histoire, dans les sciences ; à l’école des bons écrivains, il a appris à s’exprimer avec noblesse, à donner à ses pensées un tour agréable et choisi, à écrire en prose et en vers. — Et les arts ne lui sont pas moins familiers que les lettres ; il chante, il joue de plusieurs instrumens ; il a recours à la musique, cette divine consolatrice, pour charmer ses ennuis et endormir ses peines ; il est dessinateur aussi, peintre, sculpteur ; édifices, statues, vases, médailles, camées, pierres gravées, rien de tout cela n’est étranger à cet universel connaisseur. Ajoutez qu’il n’a pas seulement les doigts et le goût d’un artiste, l’art est entré dans son âme, le sens et l’amour du beau président à toutes ses actions, une musique secrète règle les mouvemens