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frais ils commencent à circuler entre Shang-haï et Han-kow. Sans doute, à raison des difficultés que présentent sur certains points les passages des gorges et des rapides, il faudra employer des bâtimens d’une forme différente, d’un moindre tirant d’eau, ce qui nécessitera le transbordement des marchandises ; mais cet inconvénient existe aujourd’hui avec la batellerie indigène, les jonques dû Ssé-tchouen étant très différentes de celles qui parcourent les parages plus voisins de la mer. Du reste, cette batellerie est trop bien organisée, elle travaille à des conditions trop économiques, pour ne pas se trouver en mesure de soutenir, pour la plus grande partie des transports, la concurrence de la vapeur. M. Blakiston rend hommage à la merveilleuse aptitude des Chinois pour tout ce qui concerne la navigation fluviale ; il van te la construction des bateaux, l’habileté des patrons ainsi que l’infatigable énergie des matelots, et il tourne en ridicule, il traite presque comme des Chinois ceux de ses compatriotes qui, dans leur infatuation britannique, se sont avisés de parler avec dédain de la marine du Céleste-Empire. S’ils n’ont pas encore la science de la navigation, les Chinois en ont l’instinct et la pratique poussés à un point que l’on ne rencontrerait nulle part ailleurs. Comment en serait-il autrement ? Sur les côtes, le personnel des bateaux pêcheurs qui s’aventurent au loin dans la pleine mer est si nombreux qu’il suffirait au recrutement de toutes les marines du monde, et à l’intérieur on ne voit que fleuves et lacs dont les grandes surfaces exigent des matelots et non des canotiers. On peut en juger par le voyage que nous venons d’entreprendre sur le Yang-tse-kiang. Ce beau et large fleuve n’est-il pas, sur une étendue de plus de cinq cents lieues, une excellente école de navigation ?

L’expédition franchit en quinze jours la distance de soixante-dix lieues qui sépare Choung-king de Su-chow, sa prochaine étape. Pendant ce trajet, elle passa devant quinze villages et six villes importantes, situées pour la plupart à l’embouchure d’un affluent du Kiang. Indépendamment des mines de charbon, elle remarqua des carrières de pierre à chaux, de nombreux lavages d’or qui indiquent que dans cette région du fleuve la recherche du métal devient plus productive, une succession non interrompue de pagodes, parmi lesquelles il faut citer la pagode de Kiang-tze, qui a treize étages, et enfin, ce qui était moins pittoresque, de fréquens indices du voisinage des rebelles. À mesure que l’on approchait de Su-chow, la campagne perdait de son animation, les fermes semblaient désertes, les cultures négligées ; des postes de soldats impériaux, des redoutes élevées à la hâte, des espèces d’observatoires en bambou d’où l’on pouvait surveiller tous les points de l’horizon, étaient disséminés sur les collines. Les matelots de la jonque, recueillant au passage les impressions des riverains, se montraient inquiets et se souciaient