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deux races un compte ouvert de surprises et de railleries mutuelles, dont la liquidation ne se solderait peut-être pas à notre profit. Les Chinois soyons-en sûrs, s’amusent autant de nous que nous croyons nous amuser d’eux, et nous passons à leurs yeux pour des êtres fort singuliers. M. Blakiston a d’ailleurs le bon goût de ne pas toujours les voir sous leurs traits grotesques, ou du moins qui nous paraissent tels, et il sait quelquefois leur rendre justice. Pendant ses promenades quotidiennes, il admirait avec quel soin et quelle habileté les moindres parcelles de terre étaient cultivées. On avait déjà fauché les champs de blé et d’orge ; les plantations de tabac, de riz, de maïs, de canne à sucre, offraient les plus belles apparences ; la population des nombreux villages qui se succèdent le long du fleuve était tout entière au travail. Dans les moindres détails se faisait remarquer la simplicité des procédés que les Chinois appliquent à l’agriculture comme à l’industrie. Ainsi l’orge et le blé étaient presque partout battus sur place et à la main ; quelquefois on se servait de fléaux que M. Blakiston préfère à ceux dont on se sert en Angleterre, parce que la surface qui frappe les épis est plus large et agit plus rapidement. Grâce à la vapeur, l’Europe est entrée depuis peu d’années dans une voie de progrès agricoles qui est encore ignorée des Chinois ; mais ceux-ci, avec l’extrême économie de leur main-d’œuvre, peuvent se passer plus facilement que nous des moyens mécaniques et obtenir à très bas prix les denrées alimentaires et les productions industrielles. D’ailleurs la vapeur ne leur fera plus longtemps défaut, car ils possèdent le charbon en abondance ; M. Blakiston a reconnu l’existence de nombreux gisemens de houille, et c’est peut-être la découverte la plus importante que nous devions à ce voyage d’exploration.

Déjà signalée, mais vaguement, par les missionnaires catholiques, la richesse minérale de la Chine est aujourd’hui un fait certain. La houille est extraite aux environs de Han-kow, sur les bords du lac Toung-ting ; elle se vend sur les marchés de Wan et de Choung-king ; on la retrouve partout en remontant le fleuve, et il est à supposer que plusieurs bassins houillers sillonnent le sous-sol de la province du Ssé-tchouen. Les procédés d’extraction sont encore très imparfaits ; mais lorsque les ingénieurs européens viendront à leur tour explorer le grand empire, lorsqu’ils auront sondé les masses minérales qui reposent, à peine effleurées, dans les profondeurs souterraines, lorsque par conséquent la vapeur prêtera son concours au travail de l’homme, on verra se produire une véritable révolution dans la puissance productive du pays et une modification profonde dans l’industrie des transports. Les steamers prendront possession du haut Yang-tse-kiang, comme aujourd’hui, sous les pavillons étrangers, et avec de la bouille apportée d’Europe à grands