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couverte d’une grande foule. Les badauds se rapprochèrent en passant sur les bateaux voisins; bientôt la jonque fut elle-même envahie; les Anglais crurent devoir se mettre sur leurs gardes, et l’un d’eux, indigné de cette violation de domicile, jeta à l’eau un des curieux, qui, sous prétexte qu’il appartenait à la milice, refusait obstinément de quitter la place. L’aventure égaya fort la plupart des assistans, mais elle offensa le corps des miliciens de la ville, et elle pouvait compliquer les affaires. Presque aussitôt le mandarin, dont on attendait la réponse, fit savoir qu’il n’était pas en mesure de donner audience aux membres de l’expédition, qui s’exposeraient aux plus grands dangers en traversant la ville, et en même temps M. Blakiston reçut d’un missionnaire catholique français qui habitait Choung-king le conseil très pressant de ne pas quitter la jonque. La réponse du préfet pouvait paraître suspecte, mais l’avis du missionnaire était évidemment très sérieux. Pour la première fois, depuis son départ de Han-kow, l’expédition se voyait en présence d’une velléité hostile. D’où venait ce revirement? devait-on l’attribuer au ressentiment de la milice? Dans aucun autre pays, la population ne serait d’humeur à supporter que des étrangers se permissent de jeter ainsi les gens à l’eau, et il faut bien avouer, puisque l’occasion s’en présente, que souvent les Européens, et les Anglais plus que tous les autres, ont le tort d’employer à l’égard des Chinois des procédés beaucoup trop cavaliers et peu faits pour entretenir les bons rapports. M. Blakiston néanmoins paraît convaincu que le bain du milicien était tout à fait étranger à l’incident : il suppose que le mouvement était provoqué par les étudians alors réunis à Choung-king pour passer les examens littéraires. En Chine comme ailleurs, les étudians forment une corporation assez turbulente et portée à l’opposition. Précisément on venait de recevoir dans le Ssé-tchouen les premières nouvelles de l’entrée des alliés à Pékin; on apprenait que les impôts devaient être augmentés pour payer les frais de la guerre; on disait que ces étrangers, arrivés si inopinément et sans but plausible, précédaient une armée d’Européens qui allait envahir le pays. Il n’en fallait pas tant pour émouvoir le peuple. — Quel que fût le motif de l’hostilité qui semblait se déclarer, la situation des habitans de la jonque devenait embarrassante et même critique. On tint donc conseil, et après discussion il fut résolu qu’on affronterait l’orage. On adressa au préfet un exemplaire du traité de Tien-tsin; — c’était l’inévitable entrée en matière, et l’expédition avait littéralement semé sur toute la route des copies de ce fameux traité ; — on rappela au mandarin qu’aux termes des conventions il était tenu de recevoir et de protéger les Européens munis de passeports réguliers; on lui signifia en conséquence qu’il eût à envoyer des palanquins et une escorte pour que les Anglais pussent