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n’avait encore circulé dans la province. Nulle part le texte de cet acte, si important pour les Chinois comme pour les Européens, n’avait été affiché. Voilà comment la cour de Pékin exécutait la clause formelle qui en prescrivait la publication dans tout l’empire. Voyagez donc en Chine sur la foi des traités ! Du reste, les mandarins et le peuple n’en avaient que plus de mérite à laisser circuler librement sur leur territoire des étrangers qui auraient pu leur paraître suspects. Ils croyaient que ces étrangers étaient des marchands qui voyageaient dans l’intérêt de leur commerce. Il faut ajouter que dans certains villages on les prenait pour des Chinois d’une province très éloignée, les masses populaires ne se doutant pas qu’il existât au monde d’autre nation que la Chine. Dans tous les cas, personne, ni mandarins, ni peuple, ne s’avisait d’inquiéter les voyageurs ni de leur demander leurs passeports, et s’il ne leur était pas venu à l’esprit de solliciter du gouverneur de Quei-chow une consultation sur leur itinéraire, cet insouciant gouverneur ne se serait pas même occupé d’eux. Mis en demeure d’exprimer un avis, le mandarin conseilla aux Anglais de continuer, leur route par eau. Il leur donna une escorte d’un officier et de six soldats pour remplacer celle qui les avait accompagnés depuis Han-kow, les aida de son mieux à faire leurs préparatifs de départ, leur procura deux jonques qui devaient les conduire à la ville de Wan, leur prochaine étape, à vingt lieues de Quei-chow, et dès le lendemain 13 avril il eut la satisfaction d’apprendre que son chef-lieu était délivré de la présence des étrangers. C’était probablement tout ce qu’il demandait.

La campagne, aux environs de Quei-chow, forme un contraste frappant avec le pays que l’on vient de traverser. Les montagnes qui séparent la province du Hou-pé de celle du Ssé-tchouen disparaissent dans le lointain, et les regards s’étendent sur une belle et vaste plaine couverte de cultures. Les grains de toute sorte, les plantes fourragères, les légumes, les arbres fruitiers, se partagent le sol, arrosé par une infinité de petits canaux qui portent et entretiennent partout la fécondité. C’est dans cette région que commence la culture du pavot avec lequel les Chinois obtiennent leur opium. Dès que la fleur est tombée, on pratique à la tête du pavot plusieurs incisions verticales, d’où s’écoule une substance assez semblable à la glu. Cette substance, recueillie tous les deux ou trois jours, produit l’opium qui est livré au commerce. L’opium du Sse-tchouen est plus foncé en couleur que celui de l’Inde, et M. Blakiston estime qu’il n’est pas inférieur en qualité. On savait déjà que, malgré les prohibitions officielles, le pavot était cultivé dans les provinces occidentales de la Chine ; mais on ne supposait pas que ces cultures eussent acquis une grande extension. Les observations faites par M. Blakiston ne laissent plus aucun doute sur