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de produire le thé destiné à l’usage exclusif de l’empereur. On estime que ce thé vaut 25 francs la livre ; mais il ne se trouve point dans le commerce, la plantation impériale étant aussi soigneusement gardée que le jardin des Hespérides. À en juger par l’extrême activité qui règne sur le fleuve aux abords du lac, cette région doit être l’une des plus riches de la Chine, et l’on peut être assuré qu’avant peu les négocians européens établis à Han-kow sauront exploiter cette nouvelle mine d’or qui s’offre à leur esprit d’entreprise.

Le 15 mars, après avoir entrevu seulement le lac Toung-ting, l’amiral Hope reprit la route de Han-kow, abandonnant le capitaine Blakiston et ses compagnons à leurs seules ressources. La lourde jonque avait à lutter contre le courant, en manœuvrant à travers les nombreuses et brusques sinuosités du fleuve, et elle mit dix-sept jours pour gagner I-chang : elle ne faisait en moyenne que quatre lieues par jour. Les voyageurs avaient donc plus de loisirs qu’ils n’en souhaitaient pour se livrer à leurs observations scientifiques et pour contempler le paysage. Cette région du Yang-tse-kiang leur parut assez monotone. Les rives basses et plates n’ont rien de pittoresque ; elles sont, dans la plus grande partie de leur étendue, pourvues de digues destinées à protéger la campagne contre les crues du fleuve ; mais sur bien des points ces digues tombent en ruine. Les champs, plantés généralement en rizières, sont cultivés avec soin. Presque chaque jour les habitans de la jonque descendaient à terre pour visiter un village ou une pagode, pour calculer la hauteur du soleil, et quelquefois, ce qui était plus vulgaire, pour aller aux provisions. Le capitaine Blakiston mentionne, dans son journal, les noms de plusieurs villes considérables ; mais nous pouvons nous dispenser de reproduire ces détails de géographie, qui n’ont quant à présent qu’un intérêt très médiocre. Et puis cette énumération de villes ne serait ni harmonieuse ni même bien exacte, les Anglais, les Français, les Allemands ayant adopté des façons différentes d’écrire et de prononcer les noms chinois, de telle sorte qu’il est absolument impossible de s’entendre sur l’identité des villes. En attendant que les puissances se mettent d’accord sur cette question d’orthographe, il n’y aurait qu’à s’en tenir à l’expédient d’un ingénieux touriste, qui propose simplement d’éternuer toutes les fois que l’on veut dire le nom d’une cité chinoise. Le fait est que par ce moyen on doit toucher à peu près juste. Mais ne nous laissons pas arrêter par une difficulté qu’il nous serait si facile de tourner, et poursuivons notre récit sans nous inquiéter de l’exactitude plus ou moins arbitraire des dénominations que les géographes et les voyageurs infligent aux villes chinoises.

I-chang, où nous arrivons, est une ville provinciale de premier ordre, qui deviendra un jour la tête de ligne de la navigation européenne